lundi 17 octobre 2011

L'enfance du coeur, un appel à la renaissance...

Introduction
On connaît les diverses conceptions de l’enfant à travers les âges: d’une part, celle d’un petit animal pulsionnel traversé par des terribles pulsions (Freud), un nourrisson polycéphal qu’il convient de discipliner patiemment pour lui donner un visage humain (Platon), bref, un être corrompu et foncièrement mauvais qu’il convient de corriger pour assurer son salut. D’autre part, celle de l’enfant comme un être de candeur, d’innocence qu’il faut protéger.

Notre approche de l’enfance se veut évangélique. Tout naturellement, elle s’apparente quelque peu à la conception de l’enfance comme un être de candeur, d’innocence, bien sûr, mais s’en démarque en proposant une alternative dynamique qui consiste plutôt à regarder autrement l’enfance. Celle-ci cherche à comprendre l’enfance comme une métanoïa, une source de renaissance, une force intérieure[1], une transformation de l’homme adulte que nous sommes devenus.  D’ailleurs, il n’est pas toujours sûr que ledit adulte soit un être achevé qui n’a plus besoin de se refaire. L’expérience a montré que certains d’entre-nous, quoique adultes, nagent encore dans  l’infantilisme.

Une « métanoïa »
Ce qui nous autorise à dire que l’enfance est un véritable lieu de « métanoia », c’est-à-dire d’un voyage au-delà de soi, qui s’effectue par la médiation de l’Esprit, et qui fait qu’on n’en revient pas comme on y était allé. Autrement dit, l’enfance se rapporte à un mouvement de conversion ou de retournement par lequel l’homme s'ouvre à plus grand que lui-même en lui-même. L’enfance est, pour ainsi dire, une réorientation du désir qui s'exprimait par rapport au monde et qui maintenant est orienté vers Celui qui est source de désir en nous, car il est source de vie.

Chacun de nous a déjà eu l’opportunité de vivre des événements plus ou moins importants qui constituent la trame, le tissu de sa vie. Et pour beaucoup l’enfance est perçue comme un idéal, une attitude rêvée ou une époque idyllique.  L’enfance c’est l’expression d’une spontanéité créatrice, la promesse des nouveaux commencements (Hannah Arendt). Sa candeur, sa spontanéité, son regard direct et sans apprêt, son absence de sentimentalisme, sa perception du faux, sa confiance et sa foi naturelle dans la vie sont vus comme les vertus que l’adulte a hélas perdues. Certains diront que l’enfance demeure en nous, qu’elle ne se perd jamais, qu’il s’agit simplement de la conquérir, de la recouvrer[2].

C’est que « d’une façon ou d’une autre, nous sommes tous des petits enfants en exil »[3]. Or quand on est en exil, on n’est plus chez soi, on est en quelque sorte perdu, dépaysé. Et être dépaysé, c’est être arraché à la sécurité du familier qui comprend l’entourage, l’horizon, le cadre de vie, les idées, les opinions, le goût[4]. Ainsi, l’enfance est notre maison. Sortir d’elle c’est donc sortir de chez soi. Mais on est parfois étonné de constater à quelle point l’humain est capable de s’éloigner de lui-même, de s’exiler de son centre.

Une renaissance
Par ailleurs, l’enfance c’est ce qu’il y a d’ingénu en nous et qui nous oblige aux bouleversements de tout genre. Dès lors, nourrir cette partie de notre être nous ouvre sur une immensité dont la nature nous échappe[5]. Ceci dit, l’homme mature est appelé à se retourner sur ce qu’il a été pour savoir ce qu’il veut devenir. Toutefois, devenir comme un enfant ce n’est jamais faire retour à un état qui, non seulement est pour un adulte un état irrémédiablement perdu, mais aussi un recours sans lequel l’être humain ne saurait accomplir sa véritable humanité. Voilà pourquoi Jésus, s’adressant à Nicodème qui, faut-il le rappeler, était un grand maître en Israël, disait : « A moins de renaître d’en haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu » (Jn 3, 10). On le voit, c’est donc l’ascension à un mode d’existence radicalement nouveau que le Christ nous appelle.

Dieu a choisi donc de miser sur l’enfance, et ce rêve est devenu aujourd’hui vocation de l’humain. Nous aimerions bien y arrêter notre cœur, mais l’adulte que nous sommes devenus a parfois du mal à entrer dans cet univers. On comprend alors pourquoi Jésus-Christ disait : « Laissez les petits enfants venir à moi, ne les empêchez pas ; car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume de Dieu » (Lc 18, 16). Là où l’enfant est spontané, direct, sans complexe, l’adulte reste réservé, toujours sur ses gardes, enfermé sur lui-même.

Avec Jésus, le message de l’enfance se doit d’être actualisé. Il ne s’agit plus de la nostalgie d’une enfance passée, mais du désir d’une enfance à acquérir, une enfance qui devra passer par une transformation, une épreuve, une mort.  Le grain de blé devra mourir à lui-même s’il veut renaître. D’où cet étonnement Nicodème : « Comment un homme pourrait-il naître s’il est vieux ? Pourrait-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère et naître ? (Jn 3, 4). L’enfance à laquelle Jésus nous invite c’est l’enfance de l’Esprit. Celle-ci est, en quelque sorte, un au-delà du stade actuel de notre vie.

Une transformation
La vraie enfance selon Jésus se trouve du côté de l’avenir et pas derrière nous.  Ce n’est pas une chose du passé mais une rentrée dans une autre dimension qui se vit au présent, après avoir libéré le passé.  Cette enfance de cœur n’est pas ce qui se passe de la naissance à l’âge de sept ans. C’est plutôt une capacité qui est semée en nous et qui s’éveille une fois que le oui a été engendré au plus profond de nous-mêmes, que le oui a été dit à tout ce qui est en nous, dans notre passé, notre inconscient, dans nos refoulements et nos négations.  Une fois que l’on a consenti justement à larguer toutes nos nostalgies.

L’enfance digne de ce nom, celle du cœur, est celle qui rassemble, qui comprend, qui guérit. Elle est un dépassement de nos attitudes de bébé[6]. C’est une force de renouvellement, de ténacité, de confiance qui ne se trouve pas naturellement au début de notre vie comme un simple état de fait, mais qui est le fruit d’une transformation. C’est une force de vision qui nous fait accepter l’inacceptable, aimer ce qu’on a détesté, comprendre ce qu’on avait jugé.

Faut-il conclure ? Loin d’être une infantilisation de l’adulte que nous sommes devenus, l’enfance est une puissance indéfectible du fait même qu’on regarde toujours un enfant par rapport à son avenir : « Que sera donc cet enfant ? », s’exclamaient les voisins des parents de Jean le Baptiste par rapport au mystère qui entourait sa naissance. C’est que l’enfance est toujours au-delà du nourrisson que l’on voit,  C’est dire que la réalité de l’enfance est inséparable de toute vie humaine.  

L’existence humaine elle-même est, selon l’expression de Jean-François Malherbe, comme un accouchement de soi-même: «La vie humaine n'est-elle pas comme une grossesse? Quelque chose (quelqu'un?) vit en nous, grandit, nous bouscule, force notre étonnement [...]. Quelque chose qui, pour apparaître au grand jour, nous contracte, nous fait souffrir [...]. La souffrance de notre vie peut nous aveugler au point que nous refusons de voir ce qui tente de naître en nous»[7]. « Je te loue Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela  aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits » (Mt 11, 25).

Sébastien Bangandu




[1] Cf. GRÜN Anselm, A la source de la force intérieure. Eviter l’épuisement en utilisant les énergies positives, Paris, Salvator, 2009, p. 51.
[2] GABOURY Placide, Une voie qui demeure. L’expérience universelle de l’esprit, éd., Libre Expression, 1992, 89.
[3] BRADSHAW John, Retrouver l’enfant en soi. Partez à la découverte de votre enfant intérieur, édition Le Jour, 1992, p. 343.
[4] Cf. VARILLON François, L’humilité de Dieu, Paris, Bayard, 2005, p. 39.
[5] GIRARD Yves, Solitude graciée. Intériorité chrétienne,  Québec, éd. Anne-Sigier, 1982,  p. 17.
[6] GABOURY Placide, Op. Cit., p. 90.
[7] "Souffrances humaines et absence de Dieu", in G. Durand, J.-F. Malherbe, Vivre avec la souffrance, p. 109.

5 commentaires:

Armand H. a dit…

Très bonne présentation du thème de l'enfance évangélique; courage.

Judith a dit…

Merci P. Sébastien de me replonger dans ce qui peut constituer ma source d'énergie. Mais cela demande beaucoup d'humilité. Merci

Pierre N. a dit…

Quand devient grand, qu'on prend des responsabilités et qu'on est libre de conduire sa vie, on devient aussi rigide et moins flexible. Cette réflexion me rafraîchie et m'oblige à revoir mes plans. C'est bon!

Gaël a dit…

Ben ça c’est sympa, tiens !
Ahhhh ça fait du bien.

Patricia a dit…

Oui, merci de nous proposer une lecture évangélique
l'nfance,totalement vivifiante! A travers cette voie, Dieu nous montre simplement le chemin qui nous fait grandir en humanité, ce « chemin de vérité et de vie », qui, par Jésus Christ, va jusqu’au Père.