vendredi 8 juillet 2011

Oser témoigner du Christ aujourd'hui...

          Si nous ne sommes pas tous appelés à quitter nos maisons pour aller par le monde entier porter la Bonne Nouvelle, nous avons tout de même reçu la mission de témoigner de Jésus-Christ, comme en témoigne Saint Pierre dans sa première épitre : « Vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu ; vous êtes donc chargés d'annoncer les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. » (1 P 2, 9).

          Le témoignage, en effet, a une puissance d’édification incroyable qui va au-delà des paroles. Souvenons-nous que l’Évangile, avant d’être écrit, fut proclamé et vécu. Aussi, comme l’avait si bien dit Paul VI : « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins »[1]

          Mais comment oser témoigner du Christ dans un monde de plus en plus sécularisé ? Comment vivre cette audace au quotidien ? On se pose la question, parce qu’on sent, et à juste titre, que le témoignage chrétien, au lieu de donner un horizon et un souffle nouveau à un monde enfermé dans un matérialisme sans nom, est aujourd’hui marginalisé dans l’espace moderne. Cette réflexion se propose d’apporter un petit éclairage sur le sens du témoignage chrétien à l’ère de la modernité.

          En effet, la personne moderne vit une errance telle qu’il le transforme en nomade sans horizon, en perpétuel insatisfait de ses retrouvailles.  Désorienté, elle ne sait plus comment habiter cette solitude ontologique que les multiples réseaux ne rendent que plus tragique[2]. Dans un tel contexte comment est-il possible de demeurer disciple de Jésus-Christ sans abdiquer son identité d’homme moderne ?

Une ouverture à Dieu
         Ce qui importe le plus dans le témoignage de foi c'est avant tout l'être du témoin. Cette attitude trouve son expression la plus claire dans la qualité d'une existence dont les valeurs humaines et spirituelles émergent et rayonnent. De fait, c’est, à proprement parler, la cohérence entre ce qui est dit et ce qui est fait qui donne sa consistance au témoignage : « (...) Pour incarner ce christianisme authentique et critique, il n’est pas besoin de s’encombrer d’un langage pieux et théologiquement correct.  Il faut révoquer la langue morte et ne pas craindre d’être prophétique en actes et en paroles.  L’authenticité dont ont faim nos contemporains, ne se paye pas seulement des mots »[3]

          Par ailleurs, le témoignage est aussi quelque chose de reçu, du fait que celui qui  témoigne ne témoigne pas de lui-même, mais d’un autre, il renvoie ainsi à un autre qui est celui qui l’envoie : « la première condition du témoignage est qu’il soit prononcé à partir d’une écoute. Le témoin est d’abord auditeur du témoignage reçu du Christ. Le témoignage permet à ceux qui l’entendent de regagner une capacité d’écoute vraie parce que le témoin a d’abord été un auditeur de la Parole »[4]

          Car nous ne connaissons pas Jésus de manière innée.  C’est en le fréquentant dans les Écritures, à travers la méditation de sa parole de vie que nous pouvons apprendre à le connaître. C’est donc l’ouverture à Dieu qui, à travers l’histoire de l’humanité, trace le chemin de la sérénité existentielle propre à faire éclater la vie en témoignage.  Elle a l’avantage de désenclaver l’humain de sa solitude pour l’engager dans un compagnonnage avec la transcendance. 

          Bien plus, cette ouverture à Dieu donne  à l’humain un partenaire d’existence pour construire le parcours de son histoire.  Dieu est à la fois celui qui marche avec l’humain et fait passer le mortel dans un univers dont il est la substance.  Ainsi, comme l’explique Socrate dans le Phédon, l’errance se mue en voyage.  Car ce Dieu qui devient compagnon du devenir incertain de notre existence est Celui qui nous fait tenir dans l’univers particulièrement complexe d’aujourd’hui.  Ce qui revient à dire que sans un encrage réel au Christ, il devient impossible à l’humain de témoigner : « Sans Moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5).

Lutter contre le renversement des valeurs
          A l’instar de l’usure des individus, celle des sociétés voit l’élan créateur se ralentir, disparaître les références à la source transcendante, qui est pourtant dispensatrice d’énergie.  Dès lors, habitude, routine remplacent l’initiative et entravent, pour ainsi dire, l’esprit d’inventivité.  Progressivement le monde perd la fraîcheur de ses premiers matins, sa spontanéité native, originelle.  Les seuls grands hommes reconnus se recrutent au sein de l’incompétence.  C’est à eux que la subversion confiera les plus hautes responsabilités, c’est eux qu’elle fera consulter comme d’infaillibles connaisseurs et sages[5].  Dans une telle société, le témoignage chrétien devient évasif.

         L’ultime résultat de l’évolution du monde moderne ressemble quelque peu au nihilisme prédit par Nietzche, lequel proclame à la fois la « mort de Dieu » et celle de l’homme.  Or, comme le souligne Dostoievsky : « Si Dieu n’est pas, tout est permis ».  C’est en prenant cette idée à la lettre que Sartre a pu fonder l’absolue liberté de l’homme, et Camus justifier sa révolte contre un ciel vide et muet.  La mort de l’homme s’ensuit dès lors, s’il est vrai que ce dernier est « à l’image et à la ressemblance de dieu », donc solidaire de son dessein mortel[6].

           Par ailleurs, on le sait, pour tuer un peuple, le plus commode est de tuer sa foi.  C’est en supprimant celle-ci qu’on supprime l’espoir, et c’est quand les humains sont privés d’espoir qu’on en vient à bout le plus facilement : ils meurent alors de l’intérieur, deviennent tout ce que le monde veut qu’ils soient.  Pourtant, si l’on peut tuer les témoins de l’Esprit, on ne peut pas tuer l’Esprit dont ils sont porteurs. 

            Malgré les affronts de la modernité, témoigner du Christ est plus qu’une nécessité.  Témoigner, c’est offrir sa vie avec le Fils pour la réussite de l’œuvre du Père qui n’est autre que la divinisation de l’humain[7].  Et cela passe aujourd’hui par la proposition de la foi.  Car nous évoluons d'une appartenance reçue et automatique à l'Eglise vers une foi motivée et personnelle. Dans ce monde sécularisé et pluraliste, le témoignage de foi est notre plus grand défi. 

Vers une pastorale de proposition 
          Proposer la foi est une des orientations majeures de notre chapitre général de cette année.  En effet, « accueillir et proposer » sont des attitudes indispensables d'un catéchisme pour aujourd’hui. Accueillir toute personne dans le respect absolu de sa situation particulière, de sa recherche, sans jugement, avec le souci de l'écouter, de l'accompagner. Mais aussi proposer la foi et l'Evangile comme chemin de vie et inviter inlassablement à suivre le Christ.

          Être croyant aujourd’hui c’est finalement oser être adulte, libre, responsable et solidaire, à l’intérieur de la communauté de foi.  Tâche qui n’est pas de tout repos, car elle ouvre des interrogations nouvelles qui méritent aujourd’hui une attention particulière.  C’est donc commencer à habiter sa foi, à forger peu à peu sa cohérence personnelle[8].  On devient alors agent actif de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, un chrétien mature capable d’approfondir son attachement à Jésus-Christ et à sa bonne nouvelle.

             Au terme de ce petit voyage au pays du témoignage chrétien qui, dans sa brièveté, ne peut mentionner toutes les stratégies susceptibles de nous ouvrir à la réalité du témoignage, nous réaffirmons que c’est bien dans le témoignage que le Christ peut rejoindre les hommes et les femmes qui Le cherchent. Soyons donc fiers de témoigner, sans rechercher les situations idéales pour le faire. Témoignons là où nous sommes, comme nous sommes, dans ce que nous faisons, avec modestie et humilité.  

          Témoignons donc même maladroitement, sans nous poser mille questions, mais témoignons du Christ comme chemin de Vie. Cela est très important pour tous ceux et celles qui nous entourent.  Car c’est en ouvrant en eux le chemin qui mène au Christ que nous les aiderons le plus.  Ne cherchons pas sur de faux chemins, n’ayons pas peur des tensions qui, çà et là, peuvent naître de notre témoignage. L’important c’est vraiment d’ouvrir le chemin de la voie du Christ. C’est une promesse offerte à chacun, si nous voulons que le message du salut trouve écho dans la vie du plus grand nombre. Alors, allons-y sans peur, en toute modestie, c’est ainsi que s’étend le Règne et que Dieu se fait tout à tous. 

Sébastien Bangandu, a.a.



[1]PAUL VI, Evangelii Nutiandi, 41.
[2] LEDURE Yves, Le christianisme en refondation, Paris, DDB, 2002, p. 26.
[3] CORBIC Arnaud, cité par COOL Michel, Les nouveaux penseurs du christianisme, Paris, DDB, 2006, p. 141.
[4] BARNERIAS Dominique, « Le christianisme, religion du témoignage », in « L’homme à la recherche de son humanité », jeudi 21 janvier 2010.

[5] BIES Jean, Retour à l’essentiel.  Quelle spiritualité pour l’homme aujourd’hui ?,  Coll. « Mystique et religions, dervy-livre, 1986, p. 23.
[6] Ibid, p. 39.
[7] RONDET Michel, Ecouter les mots de Dieu.  Les chemins de l’aventure spirituelle, éd. Bayard, 2001, p. 62.
[8] DE LOCHT Pierre, Oser être chrétien aujourd’hui, Paris, DDB, 2000, p. 130.

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci père de nous avoir rappelé cet aspect important de notre vie chrétienne. Nous allons faire encore des efforts dans ce sens-là. Courage!

Rachel

Anonyme a dit…

Il y a plus beaucoup de témoins père. La conjoncture actuelle ne semble pas compatible avec cette attitude. Prions beaucoup pour cela. Merci de nous y inciter

Marco

Anonyme a dit…

Suis contente d'avoir découvert ton blog. Et courage dans la recherche. Nous devons être des témoins malgré tout. C'est cela notre vocation première. C'est aussi parlant que de beaucoup prêcher. Merci

Arthur

Anonyme a dit…

Oser témoigner du Christ c'est vraiment un défi pour notre temps. Ce n'est pas facile du tout. Il faut vraiment croire à cela. Prions alors l'esprit qu'il nous guide sur cette voie du témoignage. C'est encourageant.

Berthilde

Viviane a dit…

Témoigner ou vivre sa foi aujourd'hui demande beaucoup de discernement et implique de faire des choix...faire des choix qui sont en conformité avec l'évangile et avec l'appel intérieur qui peut être particulier à chacun. Merci grandement!

Laurette a dit…

Vivre sa foi aujourd'hui se vit dans le quotidien, dans chaque petite chose qui m'est demandée dans mon rôle d'épouse, de mère, de mamie...qu'importe le matériel qui nous entoure...Aimer Jésus profondément et le faire connaître en des petites choses, voilà oser témoigner de lui...

Lucien a dit…

Croire aujourd'hui représente un réel défi pour le genre humain. Nous avons de la difficulté à nous contenter de ce que nous avons, comme l'évangile le suggère. Mais au fait, comment prendre une distance de ce monde matériel qui veux nous engoufrer sous des masses de biens matériels souvent inutiles et futiles?

Raphaël a dit…

La foi n'arrive pas au terme dune démonstration. Elle laisse place à de multiples doutes, elle charrie dans sa tradition beaucoup de scories, mais elle est aussi une certitude concernant l'essentiel. Salut à toi!

Pichou a dit…

Vivre sa foi aujourd'hui, c'est vivre le Credo dans la confiance la plus absolue, sans l'allonger. C'est également ce qu'avaient compris tant d'hommes et des femmes parvenus à la saniteté. C'est la réponse que je me donne aujourd'hui quand je me demande comment je crois.

Céline a dit…

La foi se vit différemment selon la sensibilité des personnes concernées.
Dieu a un plan d'amour sur chacun de nous mais nous laisse libres d'y répondre ou pas. Cela étant, le chemin qui mène à Dieu peut être droit pour certains, tortueux pour d'autres mais l'essentiel est qu'il doit conduire à celui qui nous aime et veut nous sauver.

Henri Garon a dit…

Chacun exprime sa foi de manière très personnelle en fonction de ses goûts et de ses prédispositions : par le chant et la musique, par la prière, par la formation, par la lecture, par les actions de solidarité etc...C'est cela témoigner de sa foi. Merci

Candide M. a dit…

Le credo contient l'essentiel de la foi pour un chrétien. Il est proclamé à la messe après la lecture de l'Évangile et récité lors du baptême. Le vivre effectivement au fil des jours, n'est-ce pas témoigner de sa foi?