samedi 28 mai 2011

La vie intérieure au quotidien


0. Introduction
Parler de l’intériorité aujourd’hui n’est pas facile.  Il n’est pas non plus évident, en effet, que ce genre de réflexion intéresse tous.  D’aucuns pourront la traiter d’évasive, ou d’une sorte de fuite devant la réalité concrète de notre existence quotidienne. En fait, devant l’urgence des problèmes mondiaux qui dégradent de plus en plus la condition humaine, ce genre de réflexion pourrait facilement donner l’impression d’être une véritable perte de temps. 

Par contre, selon les urgences du moment, ce temps aurait pu servir utilement dans la recherche des solutions aux problèmes du terrorisme, de la justice et de la paix, de la famine dans le monde, des guerres et génocides, du chômage, etc. qui aujourd’hui défigurent plus que jamais la face du monde.  Mais s’il est vrai que le cœur de l’homme ne peut être satisfait avec moins que Dieu (Jean de la Croix), c’est que nous aurons utilisé notre temps à bon escient en réfléchissant sur les conditions de possibilité d’un retour à l’intériorité. Ceci est important car la paix véritable, à laquelle chacun de nous aspire, repose sur la sécurité intérieure, que les sécurités matérielles n’arrivent pas toujours à donner.  Et quand l’essentiel prend figure d’insignifiance, le risque est qu’il soit inaperçu.  Il y a alors glissement vers la banalité[1].

En fait, à notre époque dite de la mondialisation, avec tous ses corollaires, il importe de savoir qu’aucun ordre, aucune clarté ne peut venir de l’extérieur. Le sens et la valeur des choses doivent venir de l’intérieur et chacun doit apprendre à le découvrir et à le développer dans son intériorité avec une force suffisante pour l’agir ensuite à l’extérieur, naturellement. C’est dire que le mouvement naturel de toute existence est un mouvement vers la plénitude. Et chacun de nous porte en soi un monde intérieur vers lequel il est nécessaire aujourd’hui de se tourner.

Cela dit, on ne peut plus continuer à rester sourd aux appels au changement, ou mieux, à la transformation de notre existence, si l’on veut avoir la chance d’une vie harmonieuse. Et cette transformation pour qu’elle soit juste, efficace et durable devra passer par une prise de conscience d’un état de fait, une remise en question de chacun. Évaluer quels sont nos vrais besoins à l’intérieur comme à l’extérieur participe à l’équilibre et à l’harmonie de la vie sur terre dedans et dehors, et cela passera d’abord nécessairement par une rencontre intime avec nous-mêmes, et partant, avec Dieu.

1. Besoin de vie intérieure
Malgré cette opacité apparente à la vie intérieure, il convient tout de même de signaler que de nos jours plus que jamais, nombreuses sont les personnes qui souhaitent intégrer une dimension spirituelle à leur vie. Elles sont ainsi mues par un besoin de croire à une réalité transcendante, pour donner un sens à leur vie. En effet, ces personnes pressentent, pour ainsi dire, qu’au-delà de la surface des choses, existe une dimension décisive d’elles-mêmes. Un monde caché qui est comme en germe, un vide qui demande à être comblé par plus que le saisissable.  Il faut s’y orienter pour progresser, unifier en soi les contradictions afin de parvenir, un tant soit peu à la paix intérieure.

Ici et là, des tendances naissent qui ont pour vocation d’accompagner des personnes en quête de sens. Certaines sciences (psychanalyse, psychologie, …) s’efforcent d’aider chacun de nous à identifier ce qui se passe en nous. Elles nous révèlent, non sans difficulté, combien ce monde intérieur est un territoire inconnu, qui échappe pour l’essentiel à notre contrôle. C’est dire que la vie intérieure est également une  force vitale intimement liée à l’existence de l’être, mais qui est, en un sens, « au-delà » de lui-même. 

Parfois associés à des techniques et pratiques de tout genre, ces moyens sont en général des approches sur la façon dont on peut arriver à maîtriser son corps et son esprit, sa vie sociale et individuelle. On pourrait dire que la vie spirituelle est un chemin pour grandir dans la maîtrise de sa propre vie, et que cela se joue dans la vie intérieure[2]. De ce point de vue, le monde intérieur devient le socle de toute vie spirituelle.

2. Spiritualité et intériorité
S’il faut se situer sur le plan religieux, la spiritualité peut se définir comme étant une ouverture d’esprit qui permet à une personne de s’interroger sur le sens de sa vie et la place qu’elle occupe dans le monde. En d’autres termes, elle est une quête de sens, d’espoir et de libération. L’intériorité quant à elle, c’est une démarche qui consiste à aller au cœur des choses, à comprendre les choses du dedans.  Elle nous aide à découvrir qu’il y a au plus secret de nous une présence qui sollicite notre désir d’une destinée éminemment personnelle. 

La distinction entre vie spirituelle et vie intérieure ne va pas de soi car, au départ la vie spirituelle se confond toujours avec la possibilité de cet espace intérieur, dans lequel la personne pourrait se retirer et réfléchir. C’est ce qui explique le fait pour une personne stressée, étouffée, de chercher à reprendre le contrôle de sa vie en effectuant un recul dans cet espace intérieur qui est comme la maison personnelle, intime de sa vie. Prendre le contrôle de sa vie veut dire s’ouvrir à Dieu qui nous précède, nous appelle et nous prévient. 

C’est dire que nous n’inventons pas le Dieu avec lequel nous voulons cheminer : il est déjà là.  Et le lieu authentique du déploiement de toute vie intérieure se trouve être le cœur, dans l’intime de l’homme, là où siègent la volonté et la décision, dans l’intériorité.  La vie chrétienne, en effet, ce n’est pas aller au-delà, en étant toujours à la recherche de nouveauté, mais c’est aller « en profondeur »[3], descendre dans le cœur pour découvrir Dieu.

Saint Augustin l’avait déjà senti quand il disait : « Bien tard je t’ai aimée, ô beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard je t’ai aimée !  Et voici que tu étais au-dedans, et moi au dehors, et c’est là que je te cherchais, … » (Confessions X, 27. 38). On le voit, Dieu n’est pas une réalité extérieure à nous-mêmes.  Il est au-dedans de nous. Voilà pourquoi nous vous proposons un espace-temps de partage où notre intimité est bienvenue et reconnue, où notre vérité profonde peut s’exprimer, où notre subjectivité peut être accueillie et signifiée. Nous proposons de donner de la place à cet essentiel qui nous anime, à cette quête de notre vraie nature. Pour tout dire, nous proposons de montrer qu’un mouvement spirituel est toujours possible, lequel peut entraîner toute personne désireuse de faire une expérience profonde du Christ dans l’intimité de Dieu.

3. Faire silence
Le passage de Dieu à l’Horeb ne s’effectue ni dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans le « bruit d’une brise légère » (1 Rois 19,11-13).  Le silence c’est ce quelque chose du mystère qui se déploie comme une onde en nos profondeurs.  Le bruit est, pour une part, humain et nous raccorde au monde. Mais en même temps, il devient une tentation sournoise qui, à la longue forme comme un mur du son qui nous interdit d’être accueillants à nous-mêmes, à l’autre, à Dieu[4]

Faire silence c’est se ramasser, c’est s’affronter, c’est ‘arrêter de se fuir’. Cette capacité à faire silence en soi pour revenir au centre rend plus serein et plus fort. En fait, nos vies sont tellement morcelées que nous ne sommes plus capables de nous apercevoir à quel point nous restons fermés à la vie intérieure. Or, il est difficile de faire des choix singuliers et conscients, de trouver des ressources en soi, d’affronter les épreuves sans avoir de vie intérieure. La spiritualité, c’est avant tout la capacité d’être relié à son intériorité, à plus grand que soi.

En effet, le fait d’être actif, d’être astreint à des horaires ; bref, d’être submergé dans l’activité pour chercher à répondre aux divers besoins fait parfois naître des conflits de disponibilité provoquant parfois des tensions qui, à la longue, peuvent ruiner sa vie de personne consacrée. On ne sait plus où donner la tête ! Comment répondre à plusieurs appels à la fois ? On court après le temps. On veut toujours gagner du temps. En fait, on en perd souvent plus qu’on en gagne dans ces courses effrénées où inévitablement on oublie quelque chose qui oblige à revenir sur ses pas.  

La personne humaine a besoin, à mesure qu’elle progresse dans la vie, de faire le vide afin qu’elle ait toujours plus de place dans la raison et dans le cœur pour l’essentiel.  En effet, notre vie est souvent encombrée, c’est-à-dire obstruée par un trop grand nombre de choses. On crée l’embarras en accumulant les préoccupations et en surchargeant notre âme. Le Christ l’avait déjà remarqué quand il disait à Marthe, un peu stressée, qu’une seule chose est nécessaire (Lc 10, 42).

Cette spiritualité n’écarte pas la personne de ses devoirs et obligations quotidiens, pratiques et concrets, mais l’engage à savoir aussi s’abandonner à la providence[5]. C’est que l’intériorité ne peut s’épanouir qu’inscrite dans un projet de vie, une orientation fondamentale qui puisse mobiliser nos énergies, nous donner la force de consentir aux sacrifices qui s’imposent pour mener notre existence dans la ligne du choix de vie que l’on a fait. 

3. Vivre en intimité avec le Christ
La Bible est intarissable quant aux appels à vivre en intimité avec Dieu. L’appel du Christ à demeurer en Lui et Lui en nous (Jn 15, 4) est une ouverture à ce qu’on peut appeler un « chez nous ». Ce « chez nous » c’est surtout cet espace où nous pouvons nous décharger de nos soucis quotidiens, laisser tomber nos défenses pour être ainsi libérés de nos inquiétudes, de nos préoccupations, de nos tensions. Ce ‘chez nous’ c’est finalement le point de Dieu au cœur de nos vies.

Comme pour Augustin, l’expérience de séparation du moi humain devrait nous conduire à la chercher dans l’acquisition de biens extérieurs. Nous sommes donc appelés à inverser le mouvement de notre énergie et de notre attention en usant des possessions de ce monde comme si nous n’en possédions pas afin de travailler davantage au développement de nos richesses intérieures, qualités, aptitudes et talents. En d’autres termes, il s’agit de se désintéresser des événements pour se rendre disponible au partage du vécu sensible et découvrir cet espace au cœur de chacun où notre humanité est bonté naturelle. Cela nous aiderait à nous détourner de l’avidité du mental pour nous mettre à l’écoute d’une Présence. 

Signalons toutefois que la vie intérieure n’est pas synonyme de démission de toute activité. Elle est plutôt une vie secrète qui se nourrit de contemplation, de prière, de silence et qui a son rayonnement jusque dans l'action, temporelle et apostolique. De telles actions ne peuvent naître que dans les cœurs profondément épris de Dieu.

Tenir sa lampe allumée
Tenir sa lampe allumée, c’est veiller à la permanence de l’huile dans celle-ci ; autrement, elle s’éteint et on est gagné par l’obscurité. Cette huile de l’amour de Dieu doit rayonner de notre relation à Dieu. Tenir sa lampe allumée c’est prier sans cesse (1 Th 5, 17), c’est aussi demeurer fidèle dans l’attente de celui qui doit venir. L’appel à tenir sa lampe allumée nous incite à vivre dans l’aujourd’hui de Dieu, car nul ne sait ni le jour, ni l’heure où le Fils de l’homme apparaîtra. 

C’est vivre présent à notre temps, ce qui veut dire, être homme et femme de son temps, sans pourtant oublier demain et son bagage d’inconnu. C’est dans l’écoute de sa parole, dans la communion à son pain de vie, au fil des jours, que le pèlerin fait sa provision d’huile[6]. Quels que soient le jour et l’heure, quand paraîtra l’époux, ces chercheurs seront fidèles au rendez-vous des noces, heureux de voir son visage.

Cependant, l’expérience a montré que tenir sa lampe allumée, veiller, c’est peut-être ce qui est le plus difficile à vivre en notre temps où chacun voudrait acquérir tout et tout de suite. Car veiller demande une grande modestie et patience. Veiller, ce n’est pas toujours obtenir, c’est parfois durer dans la nuit et le doute[7]. Tenir sa lampe allumée c’est tenir dans la durée, car c’est justement dans la durée que se dit la vérité de tout ce que la personne humaine peut entreprendre.

Tenir sa lampe allumée, c’est ne jamais renoncer, car celui qui est attendu, c’est ‘l’insaisissable’, le ‘tout autre’. Dans ce monde où tout va vite et où la spontanéité l’emporte sur la patience, nous sommes appelés à être des veilleurs infatigables de l’accomplissement des promesses de Dieu. Veiller, c’est finalement aimer sans limite car, même dans l’expérience humaine d’aimer, nulle possession ne saurait apaiser le désir. 

Conclusion
La vie intérieure ne peut pas se posséder ou être possédée une fois pour toute. Elle est une expérience vitale dynamique, qui échappe toujours aux mailles du filet de celui qui en fait l’expérience. La personne qui en fait l’expérience parvient transformée au terme du chemin, mais cette transformation c’est l’œuvre de Dieu lui-même. Car la vie spirituelle n’est pas une expérience linéaire. On ne parcourt pas une série d’étapes, mais on fait l’expérience de quelque chose qui nous dépasse et que nous n’arriverons jamais à maîtriser.  

Sébastien Bangandu


[1] VARILLON François,  L’humilité de Dieu, Paris, Bayard, 2005, p. 157.
[2] DE BREMOND D’ARS Nicolas,  A la recherche de soi.  La Bible et notre vie intérieure, Bayard, 2008, p. 12.
[3] BIANCHI Enzo,  Les mots de la vie intérieure, Paris, Cerf, 2001, p. 14.
[4] TALEC Pierre,  Accueillir la vie, les autres, moi, Dieu, Paris, éd. du Centurion, 1990, pp. 76-79.
[5] SCHALLER Jean-Pierre,  Débroussailler son âme, Paris, Beauchesne, 1994, p. 9-10.
[6] ARSENAULT Paul, En marchant vers Dieu, éd. Anne Sigier, 2002, p. 90.
[7] LE BOURGEOIS Marie-Amélie,  Saisis par Dieu.  Petit guide spirituel, Paris, Bayard, 2005, p. 149.

1 commentaire:

Réal Martel a dit…

Félicitation Sébastien !
J'ai pris connaissance de ton blog. Quel courage ! Ça promet ! J'ai pu constater la qualité de tes textes, toute la recherche et la réflexion que ça implique. Oui, ton travail vaut la peine d'être diffusé. Les moyens modernes de communication te le permettent.
Bonne continuation!