lundi 23 mai 2011

Défis de la vie consacrée à l’ère de la mondialisation


Introduction
Confrontée aux mutations profondes que le phénomène de la mondialisation impose à notre Église aujourd'hui, la vie consacrée traverse une nouvelle étape de sa croissance spirituelle et de questionnement sur la pertinence de son message évangélique dans notre société actuelle. En effet, la vie consacrée bouge au rythme d'intenses interrogations sur les nouvelles orientations qu'elle est appelée à donner à son action pour réaliser, de manière plus efficace, sa mission au monde et en même temps assumer avec courage et espérance sa longue marche vers son destin.

Ces questions se présentent aujourd'hui sous forme de défis auxquels la vie consacrée doit faire face pour réussir à radicaliser davantage son message de salut. En cette période de mondialisation, ces défis, en partie résolus chemin faisant, revêtent aujourd'hui des aspects nouveaux qu'il convient d'appréhender dans le sillage de la mondialisation et de la modernité.

1. Le défi de la mondialisation
L'histoire du monde d'aujourd'hui, qui s'incarne dans l'existence concrète de tout homme, devient à l'ère de la mondialisation un livre ouvert à la méditation passionnée des religieux. La mondialisation, en effet, est un défi qui atteint aujourd'hui toutes les vocations en général et de manière particulière la vie consacrée.

En ce sens, l'avènement de la mondialisation doit nous provoquer à une exigeante révision de notre vie et de notre engagement, à une remise en question de notre vécu religieux au cœur du monde: « A la fin d'un millénaire on cherche une perspective suffisamment claire pour évaluer le passé aussi bien dans ses aspects honteux que dans ses gloires, et pour prévoir l'avenir, ses promesses et ses défis. Quel est le kaïros de la vie consacrée, quelles sont les caractéristiques de la métamorphose que ce moment requiert aussi dans la vie consacrée? »[1]

En effet, les personnes consacrées sont invitées à apporter leur contribution, si modeste soit-elle, à l'accélération de la conversion des mentalités et d'attitudes qui rende réelle et stable la réforme des structures économiques, sociales et politiques, au service d'une vie en commun plus juste et plus pacifique[2].

2. La mondialisation, un appel à la solidarité
Le contact entre les hommes et la rencontre des idéologies ou d'expériences des peuples sont souvent considérés comme générateurs de conflits et de tragédies, par les occasions qu'ils offrent à ces différentes expériences de s'entrechoquer. Le repli sur soi dans une vie consacrée doit être aujourd'hui considéré comme une perpétuation de l'instinct d'autoconservation et de pur égoïsme. Et une telle vision partiale de la vie consacrée ne peut que percuter le désir naturel de l'être humain, désir qui le pousse au mouvement vers l'autre pour répondre positivement aux appels du monde actuel.

De manière plus concrète, le souci d'ouverture se présente comme une exigence pour la vie consacrée d'entamer une nouvelle manière d'être au monde, laquelle doit dès lors se fonder sur l'interdépendance de l'espèce humaine; car, comme on le constate, le phénomène de la mondialisation est une preuve que nul ne peut s'accomplir personnellement au détriment de ses semblables.

Notre Dieu se manifeste comme une générosité œuvrant pour le grand bénéfice des humains. Les consacrés à leur tour doivent devenir des témoins vivants de ce Dieu solidaire des hommes leurs semblables. Cette attitude sera pour eux un signe éloquent de leur don aux autres. De cette manière, ils pourront être au monde des témoins d'un Dieu tellement solidaire aux hommes qu'il ne peut en aucun cas donner libre court aux divisions et disparités dans la société humaine. 

Les consacrés doivent donc, à l'ère de la mondialisation, « être des intendants responsables de la générosité que Dieu manifeste dans sa création. Ce qui implique pour nous le devoir d'être sensibles aux besoins des personnes à l'échelle de la planète. C'est donc une faute que de construire un ordre mondial qui aggrave les disparités entre les riches et les pauvres et qui permet aux privilégiés du monde de s'engraisser tandis que des millions d'êtres humains meurent de faim »[3].

3. Pertinence de la vie consacrée à l'ère de la mondialisation
La nécessité s'avère forte, à l'heure de la mondialisation, de redécouvrir, face aux drames de la montée de contradictions sociales, spirituelles, politiques, économiques et culturelles, des lignes de pensée, de stratégie et d'action qui tendent à redonner son sens humain à tout homme. Et ce sens à redécouvrir c'est le développement de tout l'homme et de tous les humains, appelant ainsi à une solidarité mondiale qui apparaît comme le versant éthique faisant défaut à la réalité de la mondialisation.

En termes clairs, il s'agit pour la vie consacrée de lutter, tant que faire se peut, pour une mondialisation à visage humain, celle qui fait découvrir en même temps le visage prophétique de la vie consacrée à travers des innovations propres à rendre compte de la sollicitude fraternelle des consacrés pour leurs frères humains asservis par des détresses de tout genre. Ceci dit, pour être crédible, pour être signe prophétique au sein de l'Eglise et de la société humaine, il faut être et se rendre visible, présent dans la vie quotidienne, dans la société qui nous entoure et qui crie ses besoins et ses détresses vers le ciel, et faire en même temps preuve d'inventivité et de créativité pour trouver des solutions de vie et de survie. Dans toutes ces situations les consacrés sont appelés à rendre un témoignage concret de leur appartenance au Christ et de leur sollicitude fraternelle pour leurs frères et sœurs[4].
 
Dans cette optique, les personnes consacrées travaillant avec d'autres frères et sœurs devront se montrer solidaires à l'égard de ces derniers quant aux exigences de la vie sociale actuelle. Il s'agit plus concrètement pour eux de tenir compte des conditions de vie souvent précaires dans lesquelles leurs frères et sœurs vivent en leur faisant preuve d'une grande sollicitude dans la charité.

Plus encore, c'est de cette façon que les consacrés exprimeront à leurs contemporains la proximité et la bonté qui sont une force que Dieu a posée en eux, pour les rendre capables de vaincre le pouvoir du mal et la souffrance qui afflige la majorité de leurs frères et sœurs[5].

4. Nécessité d'une éthique mondiale
L'ampleur du phénomène de la mondialisation est pour les consacrés une invitation à se conformer à certaines règles et à certaines normes universelles qui concernent de manière spécifique la conduite de notre vie humaine. D'où la nécessité d'une prise de conscience éthique et une discipline qui favorisent l'éclosion de la vie humaine et sa destinée.

Or, une analyse lucide du phénomène de la mondialisation révèle à suffisance que celle-ci, loin d'œuvrer pour l'émergence de la solidarité, trouve son salut dans le repliement sur soi, symbole de l'égoïsme générateur de toutes les misères actuelles du monde: « La mondialisation est souvent marquée par un égoïsme croissant, entre nations ou entre personnes. Les solidarités traditionnelles ont implosé. Aujourd'hui, pour être réellement efficace, la responsabilité de vaincre la misère et la violence doit devenir commune, mondiale »[6]

D'autre part, Dieu étant un être universel et impartial, pourvoyeur du bien-être de tous, il devient absolument urgent pour les consacrés, dans le sillage du nouvel ordre mondial de développer une vision globale du monde en faveur d'un Dieu tout aussi universel: « Hier comme aujourd'hui, dans une situation socioculturelle où la mondialisation est synonyme de marginalisation et de domination, les chrétiens, mus par l'Esprit de Jésus, proposent à leurs contemporains l'utopie de la fraternité universelle. Celle-ci est marquée par la justice distributive, le partage, le respect de chacun dans sa différence »[7].

5. Défi de spiritualité
C'est surtout au moment de crises et de mutations sociale, politique, économique, historique... que l'Esprit souffle le plus fort et inspire des projets audacieux de réformes des structures et d'engagement apostolique pour l'avènement du Règne de Dieu dans le monde. Il est vrai que les besoins de notre société et des peuples du monde entier sont immenses. De partout, on fait appel à l’Église, à ses prêtres et aux hommes et femmes engagés.

L'un de ces besoins les plus urgents de notre monde s'avère être incontestablement celui de la prière qui, depuis la création du monde et à travers les siècles constitue le moyen efficace par lequel Dieu se fait plus proche de l'homme et de toutes ses souffrances et ses joies. Et les personnes consacrées, pas plus que d'autres bien sûr, en devraient être des spécialistes. Et cela est d'autant plus vrai que l'opinion du peuple chrétien ordinaire ne cesse d'affirmer que les consacrés sont des personnes qui 'prient'. Et à peine les rencontrent-ils qu'ils leur demandent de prier pour eux.

C'est tout aussi vrai qu'à plusieurs reprises dans l'histoire de la vie consacrée, il s'est toujours manifesté ce désir de vouloir cloisonner le consacré dans sa chapelle. A travers toutes les discussions y afférant, l'argument majeur a toujours été que ce qui correspond le mieux aux attitudes de la personne consacrée c'est la prière.

A l'heure de la mondialisation qui semble quelque peu basculer toutes ces attentes religieuses, les consacrés doivent affirmer davantage et avec force que l'expérience de Dieu, rien ne peut la remplacer. Et que sans vie de prière, on serait aujourd'hui les premières victimes livrées à la merci de cette réalité aux dimensions planétaires qu'est la mondialisation.

Par conséquent, l'évangile doit trouver des nouvelles formules d'expression pour garder en veilleuse la dynamique de l'Esprit de Dieu : « C'est dans cette exigence éthique que l'évangile se découvre comme la source d'une spiritualité à la hauteur de la mondialisation, comme une dynamique essentielle capable d'intégrer les exigences de l'Esprit de Dieu au cœur des réalités du monde, dans le but de construire une société eucharistique, dont l'énergie spirituelle ne peut être qu'une volonté de vivre la globalisation comme un souffle de bonheur partagé »[8].

C'est à faire advenir l'aurore d'une mondialisation spirituelle que les consacrés sont aujourd'hui invités. Et ce sera là pour eux le cœur de l'évangile à partir duquel la nouvelle évangélisation du monde en tant que réalité spatiale et globale devra commencer.

Ainsi, l’Église, pour laquelle les consacrés œuvrent, pourra, elle aussi se saisir comme une source d'initiative et d'inventivité, mais aussi des propositions nouvelles propres à enrichir les autres. D'héritière, elle pourra désormais devenir novatrice pour s'ouvrir davantage aux appels du monde et de l'Esprit. Ce sera également pour elle une manière d'œuvrer à son propre bénéfice à travers le perfectionnement de sa connaissance des Écritures qui seront désormais une source de renouveau de l'être ensemble et de l'agir communautaire.

C'est finalement de cette façon que, sans se conformer foncièrement au monde, la vie consacrée pourra parler au sein du présent pour y faire écho de l'utopie et de l'exigence de Dieu pour les hommes de ce temps. C'est alors seulement qu'elle pourra renouveler l'intelligence qu'elle a des problèmes et des défis afin de devenir une église confiante en un Dieu qui vient à la rencontre des hommes.

Sébastien Bangandu, a.a.



[1] De HAES R., “Le jubilé de l'an 2000 et la vie religieuse”, in Telema, n°4 (2000), p. 56-57.
[2] Cf. Lumen Gentium, 63.
[3] AGNIVESH S., “Mondialisation: matérialisme et spiritualité, deux paradigmes opposés», in Congo-Afrique, juin-juillet-août (1999), p. 327.
[4] De HAES R., Art. Cit., p. 60.
[5] Cf. Message du synode des évêques sur la vie religieuse, n°8.
[6] POUCOUTA P., « Afrique, quelle alternative à la mondialisation ? », in  Spiritus n°166 (2002), p. 51.
[7] Ibid., p. 52.
[8] KÄ MANA, « L’Afrique chrétienne à l’heure de la mondialisation. Repenser les orientations de la mission », in Spiritus, n° 166 (2002), p. 20.

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