vendredi 6 avril 2012

Les femmes au pied de la croix (Conférence du Vendredi Saint B)

Cet exposé se propose de démontrer que Jésus-Christ, à travers ses différentes attitudes à l’égard des femmes de son temps, a voulu révolutionner notre regard sur la femme en l’associant à l’économie du salut. En effet, Jésus n’a pas commencé sa révolution de façon ouverte contre le système qui reléguait les femmes au rang de subordonnées. 

Néanmoins, sa relation à la femme était une déclaration on ne peut plus éloquente de l’émergence de la condition féminine : « En vérité, je vous le déclare, partout où sera proclamé l’Evangile dans le monde entier, on racontera aussi, en souvenir d’elle, ce qu’elle a fait » (Mc 14, 9). Il faut également bien se souvenir des paroles empruntes de sens de Marie dans son magnificat: « Désormais tous les âges me diront bienheureuse » (Lc 1, 48). 

Ces déclarations suggèrent une certaine pérennisation, un rappel au souvenir de ce qu’est la femme de tout temps. Mais si la femme ne doit pas être oubliée, c’est surtout du fait de sa total implication dans l’ensemble du processus d’enfantement de l’humanité. Et si elle est déjà très active dans la vie du monde, elle l’est encore davantage dans l’église où joue un rôle indispensable dans la diffusion de la bonne nouvelle du salut. Notre exposé comprendra quatre points. Dans cette réflexion, nous traiteront de la femme dans la genèse du temps, de sa considération dans la société juive, du regard de Jésus-Christ sur la femme, de son jusqu’au-boutisme et de sa mission évangélique. Enfin, une petite conclusion s’en suivra.

1. La femme dans la genèse du temps
Dès les premiers instants de sa création au jardin d’Eden, la femme suscite admiration et estime de la part de l’homme. Elle est tout de suite considérée comme une créature merveilleuse. On sait comment Adam fut émerveillé à la vue d’Eve, « la mère des vivants » (Gn 3, 20), que Dieu venait de créer : « Voici cette fois l’os de mes os, la chair de ma chair » (Gn 2, 23). 

Le livre des Proverbes parle d’elle en de termes très esquisses, la comparant à une perle rare. Elle devient ainsi la source de bonheur et l’homme qui la trouve est comme en possession d’un trésor (cf. Pr 31, 10-13). Cette vision apparemment masculine de la femme, reflet de l’époque et la culture de ce temps, n’enlève rien à la vie et à la joie que la femme se doit de porter partout où il en manque. Ainsi, dans mission, Jésus a voulu perpétuer cette image originelle de la femme, ternie par le temps et les traditions humaines. 

2. La femme dans la société juive
Une lecture attentive des nous fait comprendre que visiblement, qu’à l’époque de Jésus, le statut de la femme était relégué au second plan. Même si de temps en temps, il pouvait se manifester des cas individuels de leadership et de bravoure chez certaines femmes, le constat général était que la femme était sous la domination de l’homme qui pouvait en disposer à sa guise.

En effet, le statut de la femme dans la société juive n’était donc pas du tout enviable du fait que les lois juives étaient très sévères envers la femme. Chez les Hébreux, la femme est était considérée comme la source du péché et donc un point d’achoppement sûr pour l’homme (Gn 3,1 ; 3, 21)). Par ailleurs, le père avait un pouvoir absolu sur toute sa famille, spécialement sur ses filles qu’il pouvait marier, confier volontiers à un homme de son choix ou même vendre s’il le désirait (Ex 21, 7-11). 

Et quand la femme juive devait se marier, la tutelle était carrément transférée à son mari. Elle devenait, ce de fait, une partie de son patrimoine au même titre que d’autres bien en sa possession (Ex 20, 17). Bien plus, lorsque la femme venait à perdre son mari,  elle passait automatiquement entre les mains de son frère germain, et ce, avec ou sans son consentement. C’est seulement au cas où ce dernier la désavouait qu’il pouvait en être autrement (Dt 25, 5). Aussi, la loi juive privait-elle la fille de l’héritage de son père si ce dernier avait des garçons comme on le voit dans (Nb27, 8 : « Lorsqu'un homme mourra sans laisser de fils, vous ferez passer son héritage à sa fille ».

Même dans le Nouveau Testament, les statistiques que les évangiles donnent autour de la participation des foules aux enseignements du Christ ou des multiplications des pains, les expressions : « sans compter les femmes et les enfants » sont évocatrices d’une condition féminine amoindrie et dominée par le mâle. En tout cas, les deux testaments de la Bible sont intarissables en ce qui concerne les discriminations contre la femme.

3. Regard de Jésus sur la femme
Comprendre le regard de Jésus sur la femme est particulièrement important par rapport au traitement dont les femmes étaient l’objet à son époque. En effet, dans aucune de ses actions, dans aucun de ses sermons ou paraboles trouvons-nous quoi que ce soit de dénigrant à l’égard des femmes.  tel que l’on peut facilement en trouver chez n’importe lequel de ses contemporains.
 
Par ailleurs, dans les récits évangéliques, on ne voit nulle part où Jésus-Christ agit avec discrimination à l’égard des femmes qu’il rencontre. Dans sa pastorale, rien ne semble soutenir la vision culturelle et religieuse de son temps voulant que la femme soit regardée comme inférieure par rapport à l’homme. Au contraire, l’attitude et le message de Jésus allaient dans le sens de la réhabilitation progressive de celle-ci, laquelle entraînerait la rupture totale d’avec la vision dominante du monde de son temps.
 
Pour preuve, Jésus a accueilli les femmes dans son cercle intime de disciples (Luc 8.1-3) ; il a loué, à maintes reprises, la foi de certaines femmes rencontrées dans son apostolat (Mt 15, 21-28 ; Mc 5, 25-34). Jésus s’est également laissé accueillir par les femmes et s’est bien souvent montré amical à leur égard (Luc 10.38-42). 

Aussi, c’est à une femme, la Samaritaine, qu’il a révélé sa condition de Messie, ainsi que qu’un bon nombre des réalités qui débordaient son cœur de fils de Dieu. L’expérience de la Samaritaine sera à l’origine de l’expérience personnelle du Christ qu’amorceront les gens de son voisinage qui, après avoir reçu son message, se sont donné d’aller voir et écouter Jésus-Christ en personne. 

A travers son entretien légendaire avec cette femme aux multiples maris, prêche la disponibilité universelle du pardon à ceux et celles qui se repentent, l’égalité de tous les êtres humains, qu’ils soient Juifs ou Samaritains. Ainsi, dans une seule conversation, Jésus élucida les préjugés du sexe de la race, de la culture, des traditions (Jn 4.4-42). 

Jésus a aussi reconnut la femme comme fille d’Abraham, et donc héritière des promesses faites à la postérité de ce homme dont la foi audacieuse a fait de lui le père de tous ceux et celles qui croient (Luc 13.10-17). Et en défendant la femme adultère dont on violait au grand jour le droit de comparaître en même temps que son amant, Jésus a démontré que l’homme et la femme sont également pécheurs et ont tous besoin d’implorer le pardon de leurs fautes.

Ces quelques attitudes que Jésus affiche vis-à-vis des femmes qu'il rencontre sur son chemin de vie apostolique contredisent justement les traditions rabbiniques de son temps et tentent de démontrer aux yeux du monde que la femme, comme tout être crée à l’image de Dieu, reste une perle sans prix.

4. Les femmes jusqu’au-boutistes
A première vue, il parait bien curieux que les femmes soient là, au pied de la croix de Jésus, avec Jean, bien sûr, le seul disciple qui a osé suivre Jésus jusqu’au bout, à en croire lui-même. Quel « jusqu’au-boutisme » ? Cela me rappelle un adage populaire qui dit que c’est dans le malheur qu’on découvre les vrais amis.  

Mais notons qu’avant de se retrouver au pied de la croix, ces femmes ont dû faire un long cheminement. Cette retrouvaille au pied de la croix est l’aboutissement d’une longue marche, jalonnée des hauts et des bas. Il faut bien se rappeler les circonstances terribles et terrifiantes de l’arrestation de Jésus-Christ pour mieux cerner la foi de ces ami(e)s de Jésus. Il faut aussi noter que dès son arrestation, beaucoup d’attitudes émotionnelles font surface. Et quand ça barde, Pierre est encore audacieux. Il veut défendre son maître en coupant l’oreille du serviteur du grand-prêtre (Mt 26, 56). 

Cependant, Jésus lui fait vite comprendre qu’il n’ira pas loin avec ce genre de réactions. Et c’est vrai car, quelques instants plus tard, il s’enfouira avec d’autres disciples, laissant Jésus seul. Et plus grave encore, il le reniera (Mt 26, 69). Notons aussi que parmi les suiveurs de Jésus, il se trouvera aussi un autre qui s’enfuira sans avoir eu le temps de se couvrir, laissant que son vêtement entre les mains de ceux qui voulaient s’emparer de lui (Mc 14, 50-51). Mais les femmes, elles, sont là. 

Différemment de Jésus, mais avec non moins de force, les femmes qui sont au pied de la Croix ont accepté de risquer leur vie. Car dans de telles circonstances, il fallait vraiment faire preuve de courage pour s’afficher comme ami, disciple, membre de famille ou simple connaissance de Jésus-Christ. Parmi ces femmes, remarquons la présence de Marie de Magdala et du disciple que Jésus aimait, celui-là même qui, familièrement, avait penché sa tête sur la poitrine de Jésus au cours du dernier repas (Jn 13,25 ; 21,20) et manifesté ainsi sa profonde amitié. En fait, Jean et Marie de Magdala au pied de la croix de Jésus représentent la dimension de l’amour fraternel à côté des femmes qui sont témoins, pour leur part, de l’amour maternel. Ils sont tous là pour témoigner de leur amour à Jésus crucifié.

Par ailleurs, la présence de ces femmes au pied de la croix de Jésus est évocatrice. Elle veut nous montrer qu’être femme, cela a quelque chose à avoir avec l’attachement à la vie, la présence et la compassion, la sympathie, surtout à des moments difficiles où cette vie se trouve menacée. Tout cela est fonction de ce que Benoît XVI, alors cardinal Joseph Ratzinger, a appelé « la capacité de l’autre »[1], c’est-à-dire un ensemble de valeurs fondamentales qui sont attachées à la vie concrète de la femme. Pour lui, en effet, « la femme garde l'intuition profonde que le meilleur de sa vie est fait d'activités ordonnées à l'éveil de l'autre, à sa croissance, à sa protection » (n. 13).

Son prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, considère quant à lui que c’est le « génie féminin »[2], hautement présent dans la vie de Marie et qui se trouve à la base de l’activité de la femme ainsi que de son implication originale dans l’évolution de toute société humaine. Cette intuition est liée à sa capacité de donner la vie. Vécue ou en puissance, une telle capacité est une réalité qui structure la personnalité féminine en profondeur. Elle permet à la femme d'acquérir très tôt la maturité, le sens de la valeur de la vie et des responsabilités qu'elle comporte. 

Bien plus, cela développe en elle le sens et le respect des choses concrètes, qui s'opposent aux abstractions souvent mortifères pour l'existence des individus et de la société. C'est elle enfin qui, même dans les situations les plus désespérées, confère une capacité unique de faire face à l'adversité, de rendre la vie encore possible même dans des situations extrêmes, de conserver avec obstination un sens de l'avenir et enfin de rappeler, à travers les larmes, le prix de toute vie humaine.

Cela met aussi en lumière « le rôle irremplaçable de la femme à tous les niveaux de la vie familiale et sociale qui impliquent les relations humaines et le souci de l'autre ». Ceci justifie sans doute sa présence active et sa fermeté dans la vie de sa famille, cette société  primordiale et souveraine où se modèle de façon visiblement forte, le visage d'un peuple. C'est aussi là que ses membres reçoivent les acquis fondamentaux qui les habilitent à témoigner dans leur vie, des valeurs qui anoblissent l’humanité tout entière.

Et c'est surtout cela qui donne à ces femmes des évangiles la force et la volonté d’être là. Car, «une mère abandonnerait-elle son enfant? » (Ps 27, 10). Malgré les signes flagrants d’irresponsabilité (maternelle ?) qu’on lui fait parfois porter, il reste que la femme, plus spontanément qu'un homme en tout cas, en sa qualité de mère et de porteur de la vie, vit avec ses entrailles, c’est-à-dire là-même où elle a porté sa progéniture. Et cela veut tout simplement nous dire cette vérité, que nous soyons femme ou non, qu’on n'entre pas dans le mystère de la Croix, qu’ « on ne vient pas au pied de la Croix avec sa tête, mais avec son cœur, avec ses entrailles, avec son corps de chair ». 

5. Femmes, missionnaires de l’Evangile
Dans son activité apostolique, Jésus a osé réhabiliter les femmes en faisant d’elles les premiers témoins de sa résurrection. Ceci pour juguler les sévérités de la tradition rabbinique qui considérait les femmes comme menteuses par nature, ce concept trouvant son origine dans la réaction de Sara après avoir appris qu’elle aurait un enfant (Gn 18.9-15). En effet, cette tradition prétendait que le déni de Sara concernant son rire était un mensonge, parce que Dieu dit toujours la vérité. À cause d’elle, toutes les femmes de sa descendance étaient considérées comme des menteuses. A cause de cela, aucune femme n’avait le droit de témoigner. 

Jésus rejeta cette tradition perverse et choisit des femmes comme premiers témoins de sa résurrection (Mt 28.8-10). A ce titre, elles devenaient automatiquement les premières à recevoir le plus important message du christianisme, mais encore à être les premières à le proclamer. Voilà pourquoi Jésus a reproché aux disciples de ne pas avoir cru au témoignage de ces femmes (Mc 16.14), leur enjoignant ainsi de rejeter les préjugés du passé et de marcher à la lumière de son royaume, dans lequel il n’y a ni homme, ni femme (Mt 22, 30).

Conclusion
Enfin, ce rassemblement de tous ceux que Jésus aime autour de lui, près de la Croix victorieuse, avec au centre sa mère, est considéré par beaucoup comme une préfiguration du rassemblement final de tous les saints au ciel, sur quoi doit s'achever la vie du monde. Jésus n’a-t-il pas dit : « là où je suis, là aussi sera mon serviteur ? » (Jn 12, 26). Marcher avec Jésus, demeurer au pied de sa croix, c’est l’unique cadeau que ses amoureux peuvent lui offrir en ces derniers temps de sa vie. 

Aimer Jésus, c’est avoir ce courage de rester auprès de lui-même tous les autres l’abandonnent, c’est lui consacrer un peu de notre temps, c’est choisir la meilleure part (Lc 10, 41-42). Le disciple n’est pas au-dessus de son Maître. Celui ou celle qui l’annonce et le transmet n’est pas la source mais seulement le canal. Dès lors, si le canal n’est pas attaché à la source, il n’aura rien à transmettre.

Pour être apôtre, il nous est recommandé de ne rien avoir qui s’use avec le temps ou qui se démode. Notre seul bien, c’est Jésus-Christ. C’est ce qu’ont compris ces femmes. Par leur simple présence au pied de la croix de Jésus, elles manifestent que leur seule richesse n’est pas matérielle, mais éternelle. Nous aussi, devenons les amis de Jésus. Ne soyons plus pour lui des inconnus, ni des serviteurs, mais des intimes, à qui il veut révéler ses confidences. N’oublions celle que nous croisons sur notre chemin vers Jésus, Marie, qu’elle nous donne pour Mère.
Sébastien Bangandu


[1] Cf. Benoît XVI, «Lettre aux Evêques de l'Eglise Catholique sur la collaboration de l'homme et de la femme dans l'Eglise et dans le monde », Rome, le 31 mai 2004.
[2] Cf. Jean-Paul II, Lettre aux Femmes (29 juin 1995), nn.9-10: AAS 87 (1995), pp.809-810.

1 commentaire:

Papillon a dit…

Le vendredi saint est bien indiqué pour faire l'éloge de la femme. En effet, elle a depuis longtemps
porté le poids du monde. Et,c'est la femme qui fait l'homme.
Cette citation de l'auteur m'a particulièrement touchée :
« on ne vient pas au pied de la Croix avec sa tête, mais avec son cœur, avec ses entrailles, avec son corps de chair ».