samedi 11 juin 2011

La quête de l'Essentiel...


O. Introduction
Cette réflexion se propose de nous rappeler que dans le quotidien de notre existence, nous avons des choix à faire, ou mieux la capacité de choisir, même lorsque nous avons l’impression du contraire, et d’explorer certains de ces choix.  Bien plus, il est parfois facile de voir les options qui conviennent à autrui.  Il est généralement plus difficile de voir celles qui s’offrent à nous et d’agir en conséquence.

Par ailleurs, il nous arrive d’être perturbés par des émotions qui nous empêchent d’analyser clairement ce que nous vivons.  Pourtant, nos choix ont un pouvoir énorme et peuvent, de ce fait modifier considérablement le cours et la qualité de notre vie.  En fait, si l’on entend par ‘superflu’ toutes les sortes de divertissements au sens pascalien du terme, on peut dire de l’Essentiel qu’il représente tout le contraire en chacun des domaines de l’existence.  Il est de tout la ‘meilleure part’ dont le Christ parle dans Luc 10, 42; il est l’aspect ultime, irréductible d’un événement, d’un paysage… Il y a en lui quelque chose de définitif, d’incorruptible, d’irremplaçable.  C’est le reflet, ici-bas, de l’Essence divine d’où tout émane, où tout retourne[1].

Pourtant, nous errons vainement, dans une quête stérile de sérénité et de bonheur intérieur.  Nous avons beau nous entourer d’un environnement confortable, nous ressentons toujours un arrière-goût d’insatisfaction, de même qu’un sentiment d’angoisse et d’insécurité.  Notre cœur aspire à quelque chose d’essentiel.  Ce qui semble nous manquer, c’est une expérience réelle de l’Essentiel.  Bien sûr, les moyens matériels pourvoient au confort physique, mais ils ne suffisent pas à procurer le bonheur intérieur[2].  C’est ici qu’il faut souligner le rôle de la dimension verticale de l’existence humaine, laquelle  nous ouvre à Dieu, que nous appelons l’Essentiel.

Or il se fait que pour aller à l’Essentiel, il convient de trouver un chemin.  De ce point de vue, la spiritualité est un effort pour prendre conscience, réaliser, expérimenter l’Essentiel qui est en nous et qui est notre milieu de vie.  L’effort spirituel a pour but de libérer, de déplacer ce centre pour le mettre en Dieu, notre Essentiel.  Ce n’est pas le résultat de notre travail, lequel nous mériterait en récompense un don de Dieu.  C’est plutôt une prise de conscience qui change notre façon de voir et de vivre.  Cela transforme notre relation à Dieu, aux autres et à l’univers.  C’est une façon nouvelle d’exister[3].  Il ne s’agit pas d’atteindre Dieu, de le saisir, que de nous laisser saisir et transformer par Lui.  C’est Dieu qui devient essentiel quand nous nous vidons de tous les superflus et que nous devenons réceptifs.  C’est Dieu qui devient créatif en nous quand nous nous abandonnons à son action.

 1. La qualité de la vie
Dans la recherche de l’Essentiel, la qualité de la vie que nous menons joue un rôle important.  En effet, si le monde moderne continue de nous offrir un environnement vital à même de sécuriser notre vie sur beaucoup de plans, le besoin essentiel de l’être humain reste encore inexploré.  C’est dire qu’au-delà des signes des temps qui clignotent de partout autour de lui, comme ce fût d’ailleurs aux jours de Noé, l’être humain vaque à sa démence. Voir à quel point il s’intéresse peu à son âme peut confirmer qu’il l’a effectivement perdue. 

Son engouement à bourrer son espace vital d’une multitude d’objets, des mots, d’images, d’actions qui donnent une grouillante apparence de vitalité, n’illustre que le seul ‘règne de la quantité’, la qualité étant reléguée au second plan ou, carrément rejetée.  L’homme, la femme moderne a horreur du vide qui pourrait lui rappeler la vacuité divine. Tout aujourd’hui procède de ce même esprit parodique qui dit toujours le contraire ou l’envers du Divin.

Dans ces conditions, rechercher l’Essentiel c’est donner un sens aux actes les plus élémentaires de la vie quotidienne. La vie a toujours un sens quelles que soient les circonstances et chaque individu doit trouver sa voie. Nous devons nous demander ce qui est important pour nous aujourd’hui. L’essentiel est de nourrir notre être profond, ne pas s’encombrer du superflu ou se laisser détourner par l’insignifiant. C’est penser à long terme et construire sa vie en privilégiant l’être à l’avoir.

2. Quitter le vacarme
Avec la télé ou la radio allumée, le téléphone à la main, il est difficile de comprendre ce propos.  Pourquoi le silence est-il devenu de plus en plus insupportable ?  Veut-on mieux étouffer sa propre intériorité ?  Cette distillation de flux verbal, de bavardages médiatiques, d’images de plus en plus agressantes, éloigne des joies intenses du recueillement, du silence, de la présence réelle, de la mémoire et de l’horizon.

Il est parfois étonnant qu’on s’inquiète si peu de tant d’heures par semaine de déferlement d’images, de publicités agressantes à la télé, et si peu aussi de la difficulté de s’y arracher, pour boire au puits de sa propre vie et de celle des autres autour de soi.  Comme quoi « c’est là où l’eau est la plus profonde qu’elle est la plus calme, la plus pure » (Shakespeare).  Silence et présence sont deux réalités précieuses entre toutes, et pourtant de plus en plus rares dans le monde d’aujourd’hui plus que jamais envahi par le bruit et tant de courses folles.  Deux biens spirituels dont Dieu est la source, le modèle, l’inspirateur et l’hôte[4].

La vie chrétienne a aujourd’hui besoin d’une cure de silence et d’une vie évangélique tournée vers l’Essentiel.  Ceci suppose une solide constitution spirituelle pour résister à l’usure du temps et à la corrosion des attitudes dominantes du monde moderne.

 3. Retour à l’Essentiel
Le retour à l’essentiel c’est la réappropriation du message évangélique, puisque nous sommes bien loin, désormais, du temps où la foi était reçue comme une évidence.  Et ceci est important car le rôle même de la vraie spiritualité est celui d’aider le chercheur de Dieu à faire face au monde dans lequel il vit, avec toutes ses chances et ses défis, de manière à affirmer davantage son identité et sa dignité.

Plus concrètement, c’est un appel à nous désencombrer de tout ce qui nous pèse, à remettre de l’ordre et de l’harmonie dans notre quotidien, à choisir la qualité plutôt que la quantité… Il s’agit tout à la fois d’un ‘passage’ qui fait rentrer de l’exil, comme jadis pour les enfants d’Israël. C’est aussi le retour à son propre secret, le retour au ‘pays natal’ qui est le fond de l’être.  Revenir à l’Essentiel c’est adopter l’attitude du fils prodigue a pu s’égarer un temps dans les lointains, s’égayer dans le multiple ; mais qui a  fini par y mourir de faim.  ‘Entré en lui-même’, réveillé à son origine, il s’éveille à la Réalité.  Le père l’accueille comme son fils, et non comme un mercenaire. Tout le sens de la destinée humaine est là.

Par ailleurs, le retour à l’essentiel désigne une migration du moi vers le soi, c’est-à-dire l’effort d’user positivement de la liberté qui est donnée à l’homme de collaborer à l’œuvre cosmique, de transformer le goût en saveur.  Le retour à l’essentiel c’est le ‘oui’ de l’homme à Dieu, c’est travailler à se dépasser afin de passer du fragment à l’unité.  Car il y a en tout être humain un humus poétique et mystique qui mérite d’être cultivé.  On peut trouver des beaux exemples dans la prière des personnes humbles, quand elle se libère de la langue du bois des formules stéréotypées qui laissent peu de place à l’expression simple de la vie, de l’âme et de la foi.  Une telle prière s’exprime parfois sur un fond de silence intérieur et de présence recueillie, d’ouverture au mystère lumineux qui habite l’âme et la conscience, le regard du dedans.

La dimension de la transcendance est celle dont nous avons le plus besoin, elle est également celle qui nous fait le plus défaut.  Seul, le retour à l’essentiel, une conversion de tout notre être à l’être Eternel rendront à une humanité défaite cette dimension irremplaçable, sans laquelle il est difficile d’approcher l’Invisible.

Or comme nous l’avons souligné dans notre article sur ‘la vie intérieure au quotidien’, l’aventure intérieure n’a rien d’un voyage de tourisme.  Elle ne signifie rien si elle n’est pas descente au cœur de soi-même, et par là, ouverture aux autres et à Dieu.  Et il y a en chacun de nous cette aspiration profonde à quelque chose de plus haut que nous,  lequel peut réveiller un élan capable de porter chacun de nous à la pleine réalisation de soi.  L’Essentiel est pour ainsi dire l’horizon de notre existence. 

Conclusion
Terminons en disant que l’heure est au choix entre l’Essentiel et le superflu. Et d’habitude, quand on veut être sérieux avec soi-même, on ne choisit pas n’importe quoi.  De même, pour désencombrer sa vie, choisir l’essentiel devient non seulement comme une véritable thérapie, mais aussi comme une philosophie et un art qui nous permettent de ne plus souffrir de la confusion entre avoir et être.

Certaines personnes, au cours des âges l’ont pressenti, approché et expérimenté l’Essentiel.  Et ce sont eux qui nous permettent d’y croire.  Ces personnes, en quête de l’Essentiel, ont vécu la vérité de cette réalité et elles sont mortes pour elle.  Il y a à peu près entre eux et nous, dans l’espace interne de l’esprit, la distance qui nous sépare d’astres disparus depuis des siècles, et dont nous recevons aujourd’hui la lumière[5].  Nous avons tous besoin de faire le ménage dans notre vie pour nous focaliser sur l’Essentiel.

Sébastien Bangandu

[1] BIES Jean,  Retour à l’essentiel.  Quelle spiritualité pour l’homme aujourd’hui ?, Coll. Mystique et religions, Dervy-livres, 1986, p. 11.
[2] WALSH Roger,  Les chemins de l’éveil.  Explorer les valeurs essentielles de la vie, Le jour éditeur, 2000, p. 7.
[3] AMALADOSS Michael,  Vers la plénitude, Paris, éd. Desclée de Brouwer, 2000, p. 21.
[4] GRAND’MAISON Jacques,  Réenchanter la vie, éditions Fides, 2002, p. 25.
[5] BIES Jean, Op. Cit. p. 12.

2 commentaires:

Raoul K. a dit…

Merci Séba pour ton blog et surtout pour ces efforts de recherche. L'essentiel c'est de focaliser nos regards vers l'essentiel... Pas facile mais tout de même pas impossible. On s'y emploi mais parfois sans succès. Nous allons tenter de redoubler les efforts.

Bijoux P. a dit…

L'essentiel est un abîme sans fond; on n'en finira jamais d'aller à sa quête, c'est bien vrai. Courage Padre.