Alors
que Kinshasa a accueilli, du 12 au 14 octobre, le 14e sommet de la Francophonie,
l'écrivain congolais André Yoka Lye Mudaba évoque l'histoire de la langue de Molière en
RDC.
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Prof. André Yoka Lye Mudaba |
Langue officielle
de la RDC, le
français y cohabite avec quatre langues nationales : le lingala, le kiswahili,
le tshiluba et le kikongo. Il est donc employé au travail et dans
l'administration dans le pays en général et à Kinshasa en particulier. Du fait
de son statut de capitale, cette dernière, qui va accueillir le prochain sommet
de la Francophonie
du 12 au 14 octobre, se sent tout particulièrement concernée pour mettre
en lumière sa pratique du français.
C'est le
14 mai 1886 que ce dernier a été décrété « langue de travail et d'administration »
de l'État indépendant du Congo, par ordonnance de l'administrateur général, le
représentant du roi des Belges à Boma, alors capitale congolaise. Ainsi, la
langue française, qui a conservé ce statut jusqu'à nos jours, totalise cent
vingt-six années de présence en RDC. Le pays compte actuellement un peu plus de
17 millions de francophones, soit environ 23 % de sa population
totale. Par son statut, cette première langue étrangère jouit d'une situation
de monopole ; elle ne rencontre aucune concurrence.
Paradoxe
L'histoire de la
langue française en RDC est paradoxale. Colonisé par un pays, la Belgique, tiraillé
lui-même depuis le XIXe siècle par des querelles linguistiques tendues
entre les Flamands et les francophones, le Congo a en fait hérité de la
position de suprématie de la bourgeoisie wallonne, alors au pouvoir. La langue
française s'est imposée au sein des écoles et des institutions, le flamand
étant relégué au rang de seconde langue étrangère. Autre paradoxe : c'est
pendant l'époque coloniale que la promotion des langues nationales a été
déterminante, avec, pour la première fois en Afrique noire, la traduction de la Bible (en kikongo), la
publication d'ouvrages et de journaux en quatre langues nationales dans les
différentes capitales provinciales concernées, l'ouverture de bibliothèques
publiques, l'instauration des feuilletons dramatiques radiophoniques, etc.
Néanmoins,
pendant la période coloniale, le français - cette langue du maître ou de
l'instituteur - est resté pour « l'évolué » un symbole de prestige.
Il a été à cette époque considéré comme la condition nécessaire et essentielle
à toute promotion sociale : un travail rémunérateur, un changement de grade ou
de statut, la considération. C'est aussi le français qui servait d'indicateur
pour définir le niveau d'intégration ou d'assimilation.
Les changements
de régime politique ont amené sur la scène des leaders anglophones. Lorsque le
pays a accédé à l'indépendance en 1960, avec toutes les mutations que cela a
entraînées, le français, bien qu'ayant gardé son statut de langue officielle,
n'était plus un symbole de prestige, de « classe » et de pouvoir. Les
promotions sociales, à cause de la dégradation de l'école et de l'inversion des
valeurs, étaient davantage fonction du positionnement politico-tribal et du
poids économique. Cela a découragé beaucoup de jeunes vis-à-vis de l'école et
de la pratique de la langue française.
En outre, les
tracasseries rencontrées dans l'obtention de visas pour la Belgique ou la France les ont poussés à
émigrer vers des destinations plus accessibles, dont l'Afrique du Sud et les
pays d'Asie, où l'anglais est prédominant. Il suffit d'observer le nombre
croissant d'écoles de langue anglaise dans la plupart des capitales
provinciales de la RDC
pour se rendre compte de cet engouement migratoire. Les derniers changements de
régime politique ont amené sur le devant de la scène des leaders généralement
anglophones. Et la ruée vers les minerais de l'Est et du Sud-Est (en
particulier du Katanga) a imposé le choix de l'anglais aussi bien aux nouveaux
employeurs qu'aux jeunes en quête d'embauche.
Véhiculaire
Pourtant, lors de l'adoption de la Constitution de la IIIe République, en
2005, le statut du français n'a connu aucune modification. De toute évidence,
il reste le véhicule de la culture et de la science : la majorité des artistes,
des inventeurs et des acteurs politiques réfléchit et pense à la fois en
français et en langue nationale. Dans les secteurs de la presse, de
l'administration, de l'enseignement et de la recherche scientifique, l'usage du
français domine. Il joue le rôle de langue véhiculaire - au-dessus de la
mêlée interculturelle - également dans les relations publiques ou interpersonnelles.
De plus en plus, l'acquisition préscolaire du français en famille devient une
donne importante dans les milieux urbains, surtout dans les foyers à revenus
intermédiaires ou supérieurs. Il y devient même la langue maternelle. Le
prétexte étant pour certains des parents que le français favorise la maîtrise
des connaissances.
Apprivoisé
Cela n'empêche
pas les débats de plus en plus houleux entre théoriciens et praticiens de la
langue autour d'un « partenariat » entre le français et les langues
nationales. Pour la plupart des théoriciens, on reviendrait ainsi, comme à
l'époque coloniale, à une formule qui imposait les langues nationales au cours
des trois premières années du cycle primaire ; le français serait adopté pour
les autres promotions du cycle secondaire jusqu'à l'université. Les praticiens
jugent ce débat d'arrière-garde, puisque artistes, journalistes et écrivains
optent de plus en plus pour les langues nationales. Ils estiment que
l'inventivité des Congolais est telle que le français a été apprivoisé par les
langues nationales (et inversement) au point de produire une sorte de
« créolisation » riche, féconde et populaire.
L'avenir du
français en RDC doit être envisagé à travers la mise en place de différents
mécanismes. En premier lieu la réhabilitation du système éducatif national,
avec l'accent porté sur l'enseignement des langues nationales, du français et
d'autres langues étrangères, mais aussi sur la formation des experts du système
scolaire, et enfin sur l'élaboration des politiques nationales du livre
scolaire. Il serait également important d'implanter des campus numériques
francophones. La mobilité scientifique et les échanges universitaires doivent
aussi être soutenus. À Kinshasa et dans les provinces, des centres de lecture et
d'animation culturelle seraient les bienvenus. Et, bien entendu, la
redynamisation des alliances franco-congolaises et d'autres projets de
promotion de la langue française pourraient compléter ce tableau de
perspectives.
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