dimanche 7 août 2011

A la recherche du bonheur...


Réfléchir sur le bonheur peut sembler un défi. En fait, que peut-on bien dire ou écrire sur le bonheur?  Ce bien précieux n'est pas objet de commentaire, ni de discours.  De soi, il conduit au-delà des mots, simplement fait pour constituer l'objet de nos tourments, de nos attentes, de notre amour.

Tout être humain, du plus petit au plus grand, désire être heureux : « Il veut être heureux, et ne veut être qu’heureux, et ne peut ne vouloir pas l’être »[1].  Aujourd’hui, il y a comme un excès du devoir de bonheur et par rapport à lui-même.  En fait c’est devenu comme un devoir, ou mieux une obligation aujourd’hui, d’être heureux.  Il faut réussir sa vie matérielle, faire bonne carrière, réussir affectivement en couple, en famille…Par ailleurs, il faut être cool, être aimé, être riche, être en bonne santé, profiter de la vie.  Ce sont les impératifs des humains dans le monde de ce temps.

D’où la tendance, surtout chez les jeunes, de recourir aux euphorisants, dans le but de lutter contre la dépression, le stress qui semblent faire mouche aujourd'hui.  Pascal Bruckner dénonce sans ambages cette pratique fatale. A ses yeux, le bonheur est devenu une obsession tyrannique de la société moderne. En effet, dans une société qui « s’hédonise » à volonté, estime-t-il, un courant majoritaire est porté par l’appel incessant fait à chacun de jouir et de laisser aller ses pulsions. 

Cet appel est véhiculé par le système marchand ou consumériste dont le slogan est une incitation à obtenir tout de suite ce qu’on désire, de vivre sans temps mort et jouir sans entraves.  C’est le langage de la marchandise, c’es-à-dire de l’immédiateté du désir, qui ne doit plus se censurer, parce que la censure, c’était hier, dans le temps des ténèbres. Aujourd’hui, au contraire, la satisfaction illimitée de tous les besoins est recommandée par le système lui-même.  Avec sa prise en compte de bien-être, note encore Bruckner, la conception moderne du bonheur est inspirée de l’utilitarisme.

Tel est donc le premier aspect d’un constat : le désir de bonheur semble bien être constitutif de l’être humain ; ce désir, anthropologique et même ontologique de bonheur se fait devoir de réussite, obligation de bonheur permanent.  Sous couvert la libération des mœurs, d’épanouissement personnel, on en vient à imposer des normes somme toute assez rigides et culpabilisantes, car elles doivent être respectées si l’on veut rester cool.  Toutes les incitations au plaisir de l’air du temps sont autant de délits potentiels, livrés à la réprobation ambiante ou intériorisée.  En d’autres mots, ceux qui n’auront pas consenti les sacrifices nécessaires pour obtenir ce bonheur érigé en norme n’auront qu’à s’en prendre à eux-mêmes[2].

Un bonheur fugace
Le bonheur est donc la chose la plus désirée mais en même temps la plus fragile au monde.  Sa fragilité tient pour une part aux circonstances de la vie, sur lesquelles nous n’avons pas souvent de prises.  Nombreux sont les musiciens, poètes et sages qui, depuis des siècles, ont chanté et statué sur le caractère aléatoire et fugace, rare et par le fait même précieux, du bonheur. Chacun à sa manière et selon la mesure de son génie, ils ont souligné son caractère passager et évanescent, bref, sa radicale finitude, qui est celle de la condition humaine mortelle. 

Par ailleurs, la fragilité du bonheur, inaccessible et fugace, tient aussi, et peut-être surtout, à une certaine maladresse du désir.  Car, comme le souligne A. Desjardins, « le bonheur, on ne le trouve pas, on le fait.  Le bonheur ne dépend pas de ce qui nous manque, mais de la façon dont nous nous servons de ce que nous possédons ».  On le voit, au lieu de nous délecter dans l’accumulation des bien de ce monde, c’est plutôt à leur sage usage qu’il conviendrait de nous orienter pour pouvoir en tirer suffisamment profit. 

Fugace, le bonheur l’est aussi aujourd’hui par le fait qu’il ne donne pas à l’échec l’occasion de pouvoir se déployer dans la vie humaine.  Car dès lors que toute possibilité d’échec lui est évitée, la vie humaine se fragilise davantage.   En d’autres termes, si l’être humain n’a pas droit à l’erreur ou à l’échec, peut-il être encore heureux ?  En effet, qui peut éviter complètement l’erreur, l’échec ou le malheur dans sa vie ?  La sérénité de la condition humaine, ou mieux son bonheur consisterait plutôt en la capacité de  regarder nos échecs et nos incohérences et nos erreurs en face, de les affronter et de les dépasser[3], tout en les assumant dans une dynamique de vie et de sagesse.

Un bonheur menacé
Il est difficile aujourd’hui de parler du bonheur, alors que beaucoup d’hommes et de peuples s’entre-tuent et que notre vie et celle de nos proches est souvent faite de bonheurs minuscules dont la somme ne constitue pas “le Bonheur”. La Bible, elle, nous apprend aussi que le bonheur humain, à égal de la bénédiction divine, se vit parfois en tension et entouré de menaces.  Par lui-même le bonheur est bon, tout comme la rose.  Mais il ne faut pas oublier que le bonheur n’est pas seul au monde, autant la rose est entourée d’épines, autant l’héritage de la terre promise par les enfants d’Israël implique la lutte contre des adversaires terribles et belliqueux. 

Par ailleurs, les Ecritures nous apprennent qu’un des grands paradoxes de la vie humaine c’est que l’injuste vit dans le bonheur, tandis que le juste éprouve le malheur (Jb 21, 7-10).  Visiblement, le bonheur n’est donc ni une île à l’abri des tempêtes, ni une récompense accordée à la droiture.  Abondance et tressaillement n’excluent ni l’épreuve de l’environnement hostile, ni le scandale de la prospérité des méchants et de la détresse des bons[4]

Ainsi le bonheur marchand s’identifie à la figure du vivant.  La société du spectacle nous présente un combat entre la vie et la mort, opposition systématique qui finit par s’identifier à l’antagonisme unidimensionnel entre bonheur et malheur : pour le sens commun, la mort apparaît comme la figure même du malheur[5].  Mais s’il nous est permis de croire en la vie éternelle, alors il devient possible d’aspirer au bonheur même après la mort.

Un bonheur commun
Si l’on demande à n’importe qui s’il est heureux, ou s’il aime l’être, tout le monde répondrait par l’affirmatif. « Ce que l’humain veut, c’est réaliser son bonheur », écrit Bloch.  Reste à savoir si l’on est vraiment capable de s’interroger sur la nature et l’objet dudit bonheur.  Le sujet humain étant un être de manque (J-P Sartre), tout désir est désir d’être.  De ce point de vue, l’humain est un être de souffrance.  Et il est bien entendu que l’ensemble de l’humanité aspire au bonheur, même si c’est à des niveaux différents.

Bien plus, une société ne peut s’épanouir sans un objectif commun.  La poursuite du seul épanouissement de soi ne peut mener qu’à une impasse.  Si notre unique devoir est d’obtenir ce qu’il y a de mieux pour nous-mêmes, la vie sera tout simplement trop difficile et trop solitaire et, partant, voué à l’échec.  Il est nécessaire, au lieu de cela, que nous sentions que nous existons pour quelque chose qui nous dépasse ; et cette simple pensée est déjà, en elle-même, un soulagement[6].

Cela dit, savoir que nous avons été faits pour Dieu, et pour trouver notre bonheur en lui, est un acte de foi, qui plus est, nous ouvre le chemin du vrai bonheur. Et ce bonheur ce n’est pas un petit bonheur égoïste, mais un bonheur partagé qui nous donne d’être en communion avec Dieu, et en communion les uns avec les autres.

En définitive, rechercher le bonheur est pour nous une invitation très forte à vivre dans l’esprit des béatitudes.  C’est d’abord un appel à réveiller en nous le goût de vivre ici bas. Et le bonheur n’est pas de l’autre côté.  Il est tout prêt de nous, il est en nous : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez (Lc 10, 23).  Le bonheur n’est pas une conquête, ni la récompense d’une vie de droiture ou d’aisance, il ne consiste pas non plus à regarder ailleurs ni à cultiver le désir de l’au-delà, mais à nous confronter à la réalité du quotidien dans sa monotonie.

Car c’est au quotidien, que notre Dieu vient nous redire qu’il n’y a que cette terre pour rencontrer celui qui, jusqu’au bout, a été l’homme des Béatitudes, le Maître du vrai bonheur. Les Béatitudes sont donc l’horizon de bonheur d’une vie sous le signe de la bienveillance, parce que le bonheur, ce n’est pas simplement ce que je n’ai pas, ce que j’espère avoir ou ce que j’ai déjà goûté, mais aussi ce que je suis appelé à goûter au quotidien, sous la mouvance du Dieu de Jésus-Christ.

Sébastien Bangandu




[1] PASCAL Blaise, Pensées, éd. de la bibliothèque de la pleiade : Œuvres complètes, textes établi, présenté et annoté par J. Chavalier, Paris, Gallimard, 1954, p. 214.
[2] BRUCKNER Pascal, Euphorie perpétuelle : essai sur le devoir de bonheur (Collection Le livre de poche, 15230), Paris, Grasset & Fasquelle, 2000, p. 82.
[3] TALEC Pierre, La sérénité, Paris, éd du Centurion, 1993, p. 78-87.
[4] DUMAS André, Les vertus…encore, Paris, DDB, 1989, pp. 211-212.
[5] BENASAYAG Miguel, Critique du bonheur, Paris, éd. La Découverte, 1989, p. 157.
[6] LAYARD Sir Richard, Le prix du bonheur.  Leçons d’une science nouvelle, Paris, Armand Colin, 2007, p. 251.

4 commentaires:

Léonard K. a dit…

Belle réflexion sur ce qu'on peut appeler aujourd'hui le drame de notre monde. Mais comment Dieu peut-il constituer un bonheur pour ceux qui ne s'en approchent même pas? La question reste posée et le débat ouvert. Encore une fois merci.

Albert a dit…

Le côté fugace du bonheur est bien ressorti. Parce qu'on meurt toujours sans avoir trouvé ce bonheur toujours fuyant. S'il était en quelque chose sur cette terre, on l'aurait déjà déniché. C'est là que Dieu reste Dieu même pr ceux qui ont choisi de vivre sans lui. Courage!

Jean-Marie P. a dit…

Bonjour P. Séba
Encore un article et qui plus est au sujet du bonheur? Je suis tentée de le dévorer car je cherche moi aussi le bonheur. Merci père pour ce souci pastoral qui vous anime. A très bientôt

Martin M. a dit…

J'ai souvent confondu bonheur et bien-être car manquer de bien-être peut induire une certaine passivité ou un fatalisme face aux obstacles de la vie. Merci d'avoir montré que le bonheur est au-delà du bien-être.