jeudi 19 mai 2011

Le don de soi, source de notre bonheur (Conférence du Jeudi Saint A)


0. Introduction 
          Le don est un terme aux multiples significations : souvent le don implique un geste charitable, gratuit, c’est un don de nature économique.  Or ici ce n’est pas de cette forme de don que nous voulons parler. Dans un Larousse classique, la définition qui convient le mieux définit le don comme un avantage naturel considéré comme étant donné par la providence ou le sort. Cette définition comporte deux dimensions bien distinctes : la dimension naturelle, innée du don, une sorte de sixième sens. En fait, chacun de nous possède une définition personnelle du don, qui se trouve être un mélange savant d’idées, de connaissance, de vécu et de convictions personnelles et nous allions souvent l’idée de don à celle de don de soi.

          Dans un monde, une société où tout s’achète, tout se négocie, tout s’obtient un peu à la force du poignet, est-il raisonnable de parler d’un tel sujet «  Notre vie, une vie faite pour être donnée ? ». N’y a-t-il pas là quelque chose d’antinomique ? Donner nous fait penser à la gratuité. Donner ce n’est pas calculer, négocier, recevoir en échange. Il est vrai que le « donnant-donnant » passe encore….et pourtant, au cours de notre méditation, c’est bien à la gratuité du don, à la beauté du don au cœur de notre existence que je veux vous inviter à réfléchir.

          En effet, depuis les temps historiques les plus reculés, les sages de tous les coins du monde ont affirmé que le secret du bonheur réside non pas dans la possession de tout ce que l’on désire, mais dans l’appréciation de ce que l’on a[1], mais aussi de ce que l’on est à l’égard des autres.  En fait, les personnes heureuses sont celles qui travaillent pour l’amour de leur métier, qu’ils soient célèbres ou anonymes.  Leur plus grande joie c’est de pouvoir se donner ; c’est de vouloir devenir des ‘dons’ pour leurs semblables.

          En fait, don de soi veut dire ‘altruisme’, ensemble d’inclinaisons ou de sentiments qui sont à l’origine de l’être social, moral, éthique. Il peut également signifier ‘dévouement’, action de se consacrer entièrement à quelqu’un, à un groupe, à une cause.  En ce sens, le don de soi est aussi ‘engagement’. (Jn 10,18). «Ma vie, nul ne la prend, déclare Jésus, c’est moi qui la donne». Vous n’aimez vraiment quelqu’un que si vous vous dévouez à rechercher le meilleur pour lui (le temps qu’on prend à choisir quelque chose pour celui ou celle qu’on aime, la façon dont on se dévoue pour assurer le bien-être de ses enfants, …). Enfin don de soi signifie aussi ‘sacrifice’ (Rm 12, 1-2), ou renoncement volontaire ou abandon de soi (Ph 3, 7-11), ceci peut nous renvoyer à la réflexion sur la façon dont les premiers chrétiens étaient capables de sacrifier leur vie à cause de leur foi au Christ.

          Il est peu probable que nous nous retrouvions dans ce genre de situation, mais nous ne devons jamais oublier que si nous prenons la vie chrétienne au sérieux, il peut être nécessaire, dans certaines circonstances, de faire de grands sacrifices pour nos idéaux. Dans ce pays, et pour le moment, il nous est facile de pratiquer ; mais imaginons que nous devions nous rendre à l’Eglise dans l’obscurité, la crainte de la police ou d’un dénonciateur.

          Si nous méditions, lisions un livre sur la vie chrétienne, nous levions et parlions de Jésus au péril de notre vie, comme c’est le cas dans certains pays, le ferions-nous ? Cela ne veut pas dire qu’il soit une vertu de négliger sa vie de façon téméraire, insouciante et ostentatoire, mais nous devons nous demander si nous serions prêts à faire ce sacrifice s’il devenait nécessaire.

1. Le don de soi, un élan de générosité
          Notre choix de vie, pour être sûr, doit être guidé par l’Amour, qui nous fait choisir ce qui est BON, ce qui est BIEN, pour l’autre, pour moi. C’est d’abord en reconnaissant ce don de Dieu que l’homme s’ouvre au monde et à l’autre et devient capable d’une générosité authentique, capable de pratiquer à son tour le don.  «  A ceci nous avons connu l’Amour : celui-là a donné sa Vie pour nous. Et nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères. » (1Jn 3, 16). L’Amour consiste à donner sa vie, à se donner. Ce don de Dieu appelle notre don : nous invite au don. « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt, 10, 8 ; Jn 13,12-17 ; Jn 13,34-35 ; Jn 15,13).

          Disposition fondamentale du Christ, le don de soi est donc une disposition foncièrement chrétienne. Elle identifie au Christ par les profondeurs, et sans elle, toute imitation du Christ ne serait que superficielle, vain formalisme extérieur. Pour être du Christ, il faut lui être livré, car nous sommes du Christ et le Christ est à Dieu. Le don de soi sera chez nous une provocation de la miséricorde, qui ne peut que répondre, car elle est l’amour qui se penche irrésistiblement sur la pauvreté qui l’appelle. Le don de soi est la collaboration que Dieu attend de nous.

          Le don de soi est lié à notre bonheur car on ne peut être heureux que si on a fait cet acte d’humilité. C’est cette attitude profonde qui est la clef de notre bonheur personnel, car il est le fruit d’une lutte permanente. On peut aussi imager cela de cette manière : le mouvement de la chute c’est le repli sur soi, et le mouvement de la grâce, c’est le déploiement, l’offrande. Le Christ sur la croix c’est un mouvement d’offrande, car il n’est pas replié. Et c’est pour cette raison qu’il faut convertir nos mouvements de capture de l’autre en mouvement de don à l’autre. Car il s’agit de recevoir l’autre et de se donner à l’autre, et non pas de capturer l’autre pour prendre.

       Arrêtons de vivre pour nous même ! L’ennui c’est de vivre pour soi-même, le renouvellement c’est de vivre pour l’autre. Car, « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 13).

2. Le don de soi, une libération 
          Par le don de nous-mêmes, nous voulons ressembler au Christ. «  Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi. (Mt 19, 16-22). C’est le don complet et absolu que Dieu demande à qui veux être parfait. Et être parfait, ce n’est pas être sans péché.  C’est se libérer de tout ce qui nous entrave dans notre marche vers l’amour parfait auquel nous voulons tendre. «Le jeune homme s’en alla tout triste, car il avait de grands biens ». Mais ce don n’est pas d’abord une privation, une abnégation de soi, ni un sacrifice négatif ! Se donner, c’est faire du positif avant tout !

          Dans le don, Dieu ne force pas notre volonté. Il prend ce que nous lui donnons. Dieu attend notre consentement pour agir en nous, comme Il a attendu le consentement de la Vierge Marie avant de réaliser en elle l’Incarnation. Dieu attend notre consentement et notre collaboration active. Il n’agit en nous que lorsqu’ Il trouve notre cœur disponible et disposé à Le recevoir. Nous sommes libres de l’accueillir. Il nous laisse la pleine initiative de la réponse à son appel. S’il forçait notre liberté, comment pourrait-on dire qu’Il nous aime ? Grandeur de notre liberté qui peut choisir de le suivre, ou de l’ignorer : « Ce don de nous-mêmes s’opère essentiellement à travers nos décisions libres, porteuses de gratuité, consenties au fil du quotidien »[2]

3. Le don de soi, un bonheur, une bénédiction
          Si Dieu appelle l’homme, c’est pour le bonheur de l’homme. Mais ce bonheur promis à Abraham n’est pas pour lui seul : dans la bible, jamais aucune vocation, aucun appel n’est pour l’intérêt égoïste de celui qui est appelé. C’est même l’un des critères d’une vocation authentique : toute vocation est toujours pour une mission au service des autres : « En toi seront bénies toutes les familles de la terre ».

          Abraham est arraché à son destin naturel. Choisi, élu par Dieu, il est désormais investi d’une vocation d’ampleur universelle. Vous ne pouvez pas perdre si vous vous remettez entièrement à Dieu.La Bible nous dit dans 2 Chr 16,9 que Dieu cherche des personnes dont le cœur est tout entier à lui, pour les bénir et les utiliser.  Et quand nous béni, il fait de nous des tuyaux de bénédiction pour les autres.  Comme le dit Pierre Talec, notre vie est pleine de surprises pour celui ou celle qui sait ouvrir les yeux.  La sérénité se loge parfois dans des petites surprises que l’on sait accueillir, mais surtout dans celles que l’on sait faire à autrui, dont seule l’amitié a le secret.  Par ailleurs, cette même sérénité, qui pour lui est un art de vivre, se glisse parfois dans la délicatesse des gestes gratuits que l’on pose pour faire plaisir à autrui[3].

4. Le don de soi, un chemin de Charité
          Le Seigneur Jésus nous a donné un moyen concret d’expression de notre don, c’est la charité, la bonté. N’oublions pas que Dieu ne nous a pas crée parce qu’il avait besoin de nous, il nous a crées comme seul expression de sa bonté, l’amour est diffusif de soi (Rm 5, 5). La Charité ce n’est pas de verser une larme devant un poste de télévision, ce ne sont pas des discussions où on refait le monde à 2h du matin, la Charité c’est aimer ceux qui sont autour de moi et enlever de mon langage toutes agressivités ou jugements. La charité c’est aimer les pauvres et “ nous sommes tous des pauvres types ” disait Pierre Goursat. La Charité exige aussi de faire le choix de la vérité, c’est à dire de décider de ne plus mentir. La Charité c’est aussi aimer l’Église notre mère.

          La Charité demande pour s ‘exercer de se débarrasser de ce qui n’est pas Dieu, de ce qui nous détourne de Lui qui nous conduit à la mort et à l’angoisse. (Nos revus malsaines, nos vidéos, nos jeux, nos grigri …) La Charité demande de ne pas se préoccuper de ce qui est passé et de ce qui viendra. Car le passé n’existe que par le souvenir qu’on en a, le futur que par l’espérance ( la fausse, souvent projection de nos désirs). Ce qui existe c’est le présent. Et ne nous inquiétons de rien, car Dieu se sert de tout, y compris de notre passé. Mais profondément la Charité se vit au présent.

Obstacles
          Bien sûre il y a des obstacles lorsque l’on veut se donner, le premier c’est la peur, Dieu nous dis 365 fois dans la bible “ N’ayez pas peur ”. L’incapacité est un autre obstacle, mais il n’est que l’expression de son impuissance. Mais sachons que ce qui impossible aux hommes est possible à Dieu (Lc 1, 37 ; Jr 1, 4-8). N’oublions pas Dieu qui parle au prophète Jérémie : “ Ne dis pas ‘je suis un enfant’, c’est Moi qui travaillerais ”. Et Jésus à Sainte Marguerite Marie : “ Tu ne manqueras de force que le jour où mon cœur manqueras de Puissance. ”

5. Se décentrer de soi 
          Pour le guide du bénévolat, le don de soi est avant tout décentrement de soi, lequel dispose à offrir sa présence, son temps, sa patience, sa tolérance. Accueillir le mal être et la souffrance de l’autre, respecter son rythme, son volume sonore, son discours.  Se décentrer de soi, pour se centrer sur lui, être là, simplement….Telles sont les qualités d’un écoutant bénévole, ou tout simplement d’un humain qui veut devenir sacrement pour l’autre.  Si vous vous reconnaissez dans cette description, vous êtes sur le droit chemin du don de soi.

          De ce point de vue, se décentrer de soi ne veut pas dire ne plus s’occuper de soi.  Il est plutôt un appel à intégrer l’autre dans mon programme de la journée.  Nos agendas sont tellement surchargés par ce qui nous concerne qu’il manque souvent de l’espace pour l’autre (Les arachides du passant, ma mère). L’exemple du bon samaritain est expressif à ce sujet.  Car le Samaritain qui vient à la rescousse de la victime des bandits est en voyage pour une mission bien précise.  Mais il trouve de l’espace pour l’autre sur son cheval et lui consacre un peu de son temps (Lc 10, 25-37).  C’est parfois en pleine occupation que l’autre vient frapper à notre.

          Il y a urgence à la générosité. Urgence à la solidarité. Urgence à donner, ou prévoir de donner. Car il n’y a pas de greffes sans dons. Il faut donc dire et redire combien on a besoin d’organes, combien on a besoin de moelle osseuse, combien on a besoin de sang, combien on a besoin de plaquettes, combien on a besoin de nous, de vous. Conscients, libres et solidaires. N’oublions jamais que la générosité est une vertu fondamentale de notre société, qu’une solidarité généreuse c’est un enrichissement de soi et de tous. Donner un peu de soi, pour sauver des vies, même après l’achèvement de la sienne, c’est aussi l’enrichir. C’est être encore plus humain. Le don, c’est la vie.

          Comme le dirait Emmanuel Lévinas, le visage de l’autre doit pouvoir nous interpeler. En fait, l’éthique levinasienne renvoie à la responsabilité d’autrui : « Je suis le gardien de mon frère ». Ainsi autrui dont le visage signifie présence vivante et expression, autrui dont le visage m’interpelle, convoque ma générosité et m’interdit de tuer. Notons que Levinas le mérite d’avoir bousculé l’égoïsme du Moi pour lui rappeler sa dimension sociale.  Car l’être humain est d’abord et avant tout un être social, solidaire des humains, ses frères et sœurs.

           En présence du Christ, il peut être valable de nous examiner sur la profondeur que nous donnons à ce renoncement dans nos vies : est-ce que je mesure mon amour pour le Christ par cette loi du renoncement ? Est-ce que j’examine la proportion entre ma vie pour les autres et ma vie pour moi ? Est-ce que le Christ, que je déclare connaître, aimer et suivre, me demande de plus en plus de renoncement ? Ou est-ce qu’aimer et suivre le Christ n’est pour moi qu’un antidote spirituel pour mon appétit de m’affirmer, de me satisfaire et de me faire plaisir ?

6. Aimer jusqu’au don de sa vie
          L’histoire du christianisme est riche d’expériences des hommes et des femmes qui ont donné leur vie pour le Christ ou tout simplement pour leurs propres frères et sœurs.  Notre Seigneur, Lui, tout innocent qu’Il était, est mort à notre place.  Il a donc accepté ce rôle de ‘substitut[4]’, un peu comme l’a fait le prêtre catholique Maximilian Kolbe qui, durant la seconde Guerre mondiale, dans le camp d’Auschwitz, en Pologne, s’offrit pour prendre la place d’un père de famille qui criait sa misère de quitter sa femme et ses enfants.

          Dieu est amour. Il nous demande de « demeurer » dans son amour, de nous y installer, mieux, de nous y blottir. En l’accueillant dans notre vie, nous pourrons le rayonner et le communiquer aux autres. Le Père Kolbe nous apprend qu’avec Jésus et Marie, c’est l’Amour et non le mal qui a le dernier mot.  Alors nous pourrons gouter au bonheur du don de soi, par lequel le Christ a offert sa vie en rançon pour notre salut.

Sébastien Bangandu, a.a.


[1] MILLER Timothy, Le bonheur de vivre simplement,  Québec, Les éditions de l’homme, 2011, p. 9.
[2] SAINT-ARNAUD Jean-Guy, Marche en ma présence : Le discernement spirituel au quotidien, Médiaspaul, 2006, p. 121.
[3] TALEC Pierre, La sérénité, Paris, éd. du Centurion, 1993, p. 22.
[4] OTIS Jacques, La vie en abondance.  Une relecture des évangiles pour aujourd’hui, Ottawa, Novalis, 2002, p. 97.

3 commentaires:

Fataki, aa a dit…

Un texte bien fait sur la dontologie. P. JM Katavu épingle ce thème ds son travail de licence en spiritualité. Vous êtes déjà deux qui ns livrez des informations sûres sur le don. Courage!

Mulumba, aa a dit…

Merci pour le texte sur "le don de soi". Ns sommes en vacances. Mais j'aurais un cours d'été, et 4 weekends dans des paroisses voisine pour la pastorale, Mission Coop. Sal a été collé le 14 denier. Salut à tous.

Jn Paul MUSANGANIA, aa a dit…

Merci d'avoir pensé à moi par l'envoi du document autour du don de soi. Votre analyse est pertinente et mérite d'être vulgarisée pour exorciser nos peurs et notre tiédeur qui nous font enliser dans l'amour de soi. Je crois que le 'chacun pour autrui' serait notre devise. Que Dieu nous y aide.