vendredi 4 mai 2012

V. Y. Mudimbe: Discours de remerciement


REMERCIEMENTS
(Gratias  ago)

Monsieur le Recteur de l’Université Laval,

Madame la Secrétaire Générale de l’Université Laval,

Monsieur le Doyen de la Faculté des lettres, Thierry Belleguic,

Mesdames et Messieurs les Dignitaires,

Madame Chantal Hébert, Directrice du Département des Littératures,

Monsieur Justin Bisanswa, Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Littératures africaines et Francophonie,

Cher Monsieur Fernando Lambert,

Dire merci semble simple. Le dire est vite fait. Et souvent, on l’oublie. L’écrire exige parfois un arrêt. C’est qu’il faut trouver la formule adéquate. D’une question sur un bon usage et sa justification, s’exige ainsi un effort, celui de savoir et de pouvoir trouver les mots qui exprimeraient au mieux le sens d’une gratitude.

Entre penser et croire, des proximités sémantiques et grammaticales me viennent au secours. Elles se croisent. En effet, on peut penser et croire à quelque chose. Et pouvoir ainsi penser et croire à un devoir de reconnaissance dans cet acte même d’une pensée et d’une foi, actualisant  ainsi une relation et un ordre de valeur.

Monsieur le Recteur, 

Bien sincères remerciements à vous-même et à l’Université Laval. Mes meilleurs remerciements aussi à Monsieur le Doyen, Monsieur le Vice-doyen, à la Faculté des lettres, au Département des Littératures, à la Chaire du Canada, son titulaire, ses collaborateurs et ses étudiants.

Monsieur Fernando Lambert a rappelé des relais entre le Département des études françaises et la Faculté des lettres de l’Université Laval, le Québec et le monde de langue française, les univers de cette langue et de sa culture.

Il a mentionné des noms et des institutions ayant marqué une époque. Ils ont déterminé le sens d’initiatives et nombre de programmes. Viennent en tête, le Québec et des noms, ceux de Michel et Françoise Tétu, Jean-Marc Léger, Fernando Lambert lui-même. Ils ont engagé, entre autres, de hautes initiatives, notamment une vive collaboration avec le Conseil International de la langue française, l’idée et le lancement de l’Association des Universités Totalement ou Partiellement de Langue Française (AUPELF), les Centres de linguistique théorique et appliquée dans l’Afrique de langue française. Ces institutions devinrent vite des bases génératrices d’autres structures dans le domaine culturel.

Monsieur Lambert a mis en avant la dimension interculturelle et interdisciplinaire de cette présence dans le monde de la deuxième moitié du XXe siècle. On se souvient de l’effervescence culturelle des années 1960. Quelques-uns des effets du travail de l’AUPELF,  avec l’appui de la Coopération du Canada et de la France, furent les programmes d’alphabétisation et de promotion des langues africaines. De ces dynamiques  vint le concours aux recherches dans les Centres affiliés à l’AUPELF. Ainsi, au Sénégal, le CLAD de Dakar qui, sous la présidence de Monsieur Léopold-Sédar Senghor, la direction de Monsieur Dumont, et une ligne de recherches de Jean Doneux en langues africaines. Et au Congo, le CELTA de Kinshasa et Lubumbashi, avec le concours de la Coopération belge et française. De leurs extensions surgirent l’instauration d’observatoires de la langue française et, dès les années 1970, l’idée d’un dictionnaire des Français d’Afrique.

Idéalité d’un projet innovant, cet engagement dans l’interculturel s’établit dans une double fidélité. D’une part, un humanisme dialogique, et dont témoignait l’active ouverture des philologues formés dans la tradition gréco-latine; et d’autre part, le sens d’un courage humaniste dans la pratique philosophique. Publiée durant les premières années de l’AUPELF par un de ses membres, l’Histoire de l'histoire de la philosophie (Ophrys, 1973) de Lucien Braun était d’un penseur attentif à l’interculturalité de toute pratique philosophique. Son livre, une étude critique des conflits internes à toute pratique philosophique, signifiait un pari et sa portée. 

Une réunion sur l’interculturalité s’ouvre à Kinshasa, au début des années 1970, et porte sur des principes de collaboration entre l’International African Institute et la délégation de l’AUPELF. Celle-ci est conduite par Monsieur Michel Tétu, de l’Université Laval. Durant l’année académique 1978-1979, Monsieur Fernando Lambert, une fois de plus, représente, et Laval et l’AUPELF, aux travaux du IVe Congrès des études africaines qui se tiennent à Kinshasa, auxquels participe Madame Catherine Coquery-Vidrovitch. A elle, et  à Michel Coquery, sincère gratitude. À vous, Catherine, cette gratitude joint le signe de ce jour à la laudatio que vous avez prononcée, il y a quelques années, en m’accueillant dans la communauté de Paris-Diderot.

Dans cette même lancée, il me faut  mentionner Madame Katrien Pype qui, avec Monsieur Filip De Boeck, de la Katholieke Universiteit Leuven, me firent l’honneur de m’accueillir quelques années après à Leuven, lors d’une autre cérémonie honorifique.

« Selon quelles formes singulières de “subjectivation” s’appréhende et insiste l’exigence d’avoir à se trouver concerné? Je dis bien “formes singulières”». Car c’est toujours au voisinage, au sein d’une situation locale, que se manifeste cette  exigence; et la façon dont on s’y trouve éventuellement « capturé» dépend pour chacun des repères symboliques dont il dispose déjà du fait de son histoire propre » (23-24),  s’interrogeait Jean Toussaint Desanti, dès l’entrée de l’Introduction à la phénoménologie (1976, 1994). Très probablement, l’exigence se donne d’après des formes actualisées par toute différence. Ces formes témoignent  d’un plus dans un croisement de l’ouvert de tout dit culturel, l’écart. En effet, l’écart dans toute saisie de soi. Étonnant de remarquer seulement maintenant cette référence à la subjectivation, et sous cet angle. Sa constance, dit Desanti, se donne dans l’acte même de lire et d’interpréter, le Grec legein. Dans cet appel, un déchiffrement s’avoue. Il organise un rapport à soi, tout écart étant de l’ordre de ce qui s’accomplit, généralement dans le plus de toute inscription.

Inscription dans des réseaux d’une tradition face à d’autres réseaux, l’écart intègre et marque souvent, même le petit détail qui peut compter à peine dans le registre du vrai et du moins vrai. La même tension peut se donner à propos du bon et du beau, et de ce qui l’est moins en principe. Telle est l’audace constante du travail interculturel. Tel est aussi le meilleur signe de sa patience. Tel est, enfin, le risque qu’il n’est pas toujours facile de faire comprendre, et moins encore d’accueillir.

Et cependant, comment ne pas redire ici la grande leçon de mes Maîtres d’antan – un Willy Bal et un Vincent Mulago--, tout  humanisme bien portant a le sens du risque. Et c’est un haut humanisme  que celui de  l’Université  Laval. À l’Université Laval, sincère gratitude pour l’accueil. À ma famille, aux amis du Canada, de Laval, particulièrement à Bogumil Koss Jewsiewicki et Fernando Lambert, merci. Gratias ago.
                                                                                                       V.-Y. Mudimbe
                                                                                                       4 mai 2012

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