dimanche 23 juin 2013

La prière au coeur de l'existence humaine


0. Introduction
La prière est une dimension essentielle de la vie du chrétien. En effet, chrétien ou non, tout être humain se sent, dans une certaine mesure, en lien avec un être supérieur, une transcendance. Ceci dit, l’humain a besoin de transcendance pour approcher ses limites. Car l’expérience de vie des humains sur cette terre a montré, au cours des âges, que l’humain n’a jamais le contrôle sur lui-même, sur sa vie et sur son avenir.

Selon le P. Vasse, dont nous nous inspirerons abondamment, quelle que soit la définition que nous lui conférons, il reste qu’il est difficile de dire avec plus d’exactitude ce qu’est effectivement la prière. Quoi qu’il en soit, cela ne suffit pas à la ranger définitivement dans la catégorie des choses dont on ne peut plus parler[1]. Pour lui, s’il est vrai qu’elle est irréductible à une définition purement intellectuelle, ce n’est pas pour autant que nous sommes autorisés à nous réfugier derrière son « mystère ». Qu’on s’y adonne ou non, qu’elle soit éprouvée comme bienfaisante ou ridicule, la prière évoque, pour tous, ce temps d’arrêt qui permet de nous mettre en présence de Dieu, d’habiter notre présent.

1. La prière, besoin de Dieu
Lorsqu’on demande à quelqu’un qui prie de dire pourquoi il le fait, la réponse c’est souvent qu’il en a besoin pour vivre, pour alimenter sa foi, pour bonifier sa vie, etc. Et si l’on pose la même question à celui ou celle qui ne prie pas, on entend très souvent dire que ce n’est pas un besoin. Dans les deux cas, on sent que tout converge vers le besoin de prier.

Que signifie la constante référence au besoin quand il s’agit de la prière ? Qu’est-ce que le besoin ? Il faut noter qu’on ne peut parler de besoin sans l’existence préalable d’un objet ordonné à une satisfaction. Et ladite satisfaction survient toujours quand la consommation de l’objet entraîne la cessation, voire la disparition de la tension, de l’envie. C’est à ce besoin élémentaire d’assimilation que le psalmiste, parlant de la prière, nous renvoie quand il dit : « Mon âme a soif de Dieu. » (Ps 42,3)

La prière, en tant que besoin, naîtrait donc de ce que quelque chose d’essentiel nous fait défaut. La soif (ou la faim) est alors impérieuse. A défaut de l’étancher, on expose son propre être à la désagrégation et à la mort. C’est dire que l’être humain ne tient vraiment dans son corps comme être vivant que s’il satisfait à ses besoins. Mis dans l’impossibilité de le faire, il devient la cible de l’angoisse qui, par la suite peut causer sa mort. 

Ainsi, chez l’humain, le besoin constamment signifié par l’expression qu’il en donne : pour le nourrisson, c’est l’agitation et le cri qui expriment le besoin de nourriture ou de breuvage. Quant à l’adulte, il demande ce dont il a besoin en l’articulant dans un langage. Ceci dit, on pourrait donc soutenir que le besoin vise l’objet en vue de s’en satisfaire. 

Mais si le besoin en tant que tel supporte d’être un temps passager, on ne saurait cependant jamais totalement y renoncer. Car, dès qu’il est satisfait, l’incoercible besoin s’éteint. De sorte que ni l’objet qui est consommé, ni le besoin qui s’annule ne survivent à la satisfaction. Le besoin meurt et renaît sans cesse, il se répète indéfiniment. Cette répétition constitue le phénomène premier de toute vie. 

Cela dit, il est bien certain que le besoin n’existant jamais à l’état pur, nous le rencontrerons toujours déjà marqué du signe du langage qui l’exprime, à travers la demande et jusque dans le désir[2]. Or l’objet se voit, se touche, alors que le désir se sent. 

2. Du besoin au désir de Dieu
Que dit-on, dès lors, lorsqu’on dit de la prière qu’elle est un besoin et que l’évangile affirme que « l’homme ne vit pas seulement de pain » (Mt. 4,4) ? Cela revient à dire que le pain en tant qu’objet nécessaire à la vie ne rendrait pas compte de tous les besoins de l’humain.

Si cela est vrai, on est donc autorisé à dire que l’homme est différent de tous les autres vivants du fait qu’il est capable de Dieu. De ce point de vue, la parole du Christ peut alors se traduire ainsi : « L’homme n’a pas seulement besoin de pain, il a aussi besoin de Dieu ». Comme l’a si bien dit Jean de la Croix, « le cœur de l’humain ne peut être satisfait avec moins que Dieu ». Mais là aussi, nous imaginons Dieu sur le mode de l’objet dont la consommation apaise. Et Dieu n’étant pas un objet maîtrisable, sa recherche nous condamne à l’errance.

Car Dieu n’est pas toujours là où nous le voyons. Jésus a essayé de montrer que ce Dieu dont nous avons besoin ne se trouve ni dans le temps, ni dans l’espace, ni dans le savoir. Il est donc ailleurs que dans « l’ailleurs » où nous le cherchions. Et ceci est au cœur même du message pascal : il faut éviter de chercher Jésus là où il n’est pas (Lc 24, 6). Cela est important car l'esprit de Pâques commence par une remise à jour de notre vie de foi.

Ici, la conversion est nécessaire. Marie-Madeleine doit passer du besoin de toucher Jésus, au désir de le voir ressuscité. C’est dans cette conversion du besoin en désir que se situe, à nos yeux, la spécificité de l’humain : un être de désir. Le besoin est, pour ainsi dire, le chemin qui conduit au désir. Dans la parabole de l’enfant prodigue, Luc donne une illustration vigoureuse de la frustration du besoin élémentaire de manger qui, finalement, ouvre sur la possibilité de retrouver le Père qui n’est justement pas, lui, l’objet de son besoin.

Il n’a besoin que de manger. Et il ne peut y renoncer. Mais, par contre, il n’a pas besoin de son père, c’est pourquoi il peut renoncer à être fils : « Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. » Et c’est vrai que, pour vivre, il n’a pas besoin d’être fils pour un père. Mais cette éventualité ne l’empêchera pas de manger et de vivre, fût-ce comme le « dernier des serviteurs ».

Il croyait être un homme en signifiant à son père qu’il n’avait pas besoin de lui et c’est en découvrant qu’il peut se passer effectivement de son père, mais non de nourriture, qu’il retrouve la possibilité de vivre en fils. Le besoin de nourriture lui fait découvrir la vraie identité de son père, mais en même temps son identité de fils.

3. Quelques pistes pour une vie de prière régulière
La prière est difficile. Tous ceux et celles qui se sont essayés dans cette aventure en témoignent. Mais, quoiqu’il en soit, on peut arriver à prier régulièrement si cela nous semble nécessaire. Dans le fond, l’amour est nécessaire à la prière, c’est d’abord parce que l’on aime que l’on prie, ce qui implique de savoir donner du temps, passer du temps avec celui qu’on aime.

Prendre le temps de lire la Bible 
Comme l’avait si bien dit le prophète Osée, nous exposons et appauvrissons notre vie par manque de connaissance et de discernement (Os 4, 6). Alors que la parole de Dieu est à même de nous éclairer, nous acceptons de vaquer à notre démence en nous éloignant de sa clarté.

Côtoyer la parole de Dieu, c’est entrer dans un processus d’écoute, car il s’agit de dépasser ce qui est lu pour entrer dans ce qui est dit. Lire un texte de l’écriture sainte, c’est faire résonner les mots de Dieu en nous. Il y a, pour commencer, la prière du Notre Père enseignée par Jésus à ses disciples. Elle nous  enseigne que toute communion à Dieu est avant tout un fait relationnel[3]. Pour nous rejoindre, Dieu s’est fait chair.

Les dévotions
Par ailleurs, il y a les dévotions approuvées par l’Eglise, en l’occurrence le chapelet, qui est une méditation extraordinaire de l’Évangile. En effet, la prière du chapelet nous met sur les traces de la vie du Christ depuis sa conception jusqu’à sa mort et sa résurrection. Elle nous met également en communion avec Marie, qui a beaucoup à nous dire sur son fils dont elle a été la première disciple.

Les litanies, en nous associant à la grande famille des saints, nous font découvrir la dimension fraternelle de notre démarche spirituelle. En fait, c’est la grâce de Dieu qui donne l’occasion à des personnes aussi faibles de pouvoir témoigner courageusement de lui. En tant que pèlerins de l’Inconnu, nous avons parfois besoin d’apprécier l’œuvre de Dieu dans la vie de nos frères et sœurs, les saints.

Le signe de croix
Faire son signe de croix au lever tout comme au coucher, avant ou après le travail, le repas, etc. nous permet de placer toute la journée sous le regard et la guidance de Dieu, en qui notre vie prend sa source et son achèvement. Le signe de la croix peut être d’une efficacité incroyable s’il est fait avec foi et confiance.

La visite du Saint Sacrement
Le Christ est devenu pain vivant pour qu’en le mangeant, nous ayons la vie en nous. La visite du saint sacrement nous permet de nous unir à Jésus-Christ dont la présence réelle dans le pain est source vivifiante. 

La prière contemplative
Elle a pour support, le livre de la nature qui nous permet de nous unir au Créateur, de retrouver notre origine et notre fin. A travers les âges, beaucoup d’hommes et de femmes sont parvenus à des degrés de contemplation incroyables à partir des splendeurs de la création, des œuvres d’art construire une vie des degrés incroyables   ’œuvre d’art tels les icônes, les monuments, les fresques, les gravures, etc.

Enfin, il y a la prière du cœur qui nous permet, à l’instar du pèlerin russe, de rester constamment en présence du Seigneur. Selon les sensibilités, chacun peut se construire une vie de prière riche et attrayante.

Conclusion
Prier est une recommandation faite à tout être humain, quelle que soit sa condition sociale, sa situation professionnelle et familiale. Une question se pose : comment alors prier aujourd’hui, dans un monde ou tout n’est que bruit et mobilité? Il faut noter que jusqu’au 19e siècle, la population de la plupart des pays actuellement développés, était en majorité rurale, il était par conséquent plus facile de s’adonner à la prière dans le silence et le calme.

Aujourd’hui les gens se massent dans de grandes villes urbaines où le bruit, la promiscuité et les distractions sont inévitables. On a l’impression que l’ère de la communication semble plutôt étouffer la voix de l’Esprit, discrète par nature, et rendre indisponible à l’écoute intérieure les individus submergés d’informations et d’activités. Au fond, Dieu n’est pas mort. Il semble plutôt oublié. Notre civilisation caractérisée par la suprématie de l’avoir sur l’être, peut se féliciter de rendre presque insensée la quête spirituelle. Or, à celui ou celle qui cherche Dieu, il faut un centre[4].

Dans ces conditions, la prière se présente comme l’un des lévriers les plus extraordinaire pour retrouver l’étincelle première du christianisme primitif; non pas une restitution d’un passé, mais une création continue à partir d’une Présence qui ne nous a jamais quittés. La prière peut s’infiltrer partout, nous libérer de toutes les acculturations de l’Évangile, recréer un nouveau style de vie chrétienne. Mais pour l’avenir humaine tout court, face aux situations impossibles, de nos banalités quotidiennes jusqu’aux grandes détresses de l’humanité, la prière opère une rupture et pose le pari sur Dieu seul[5].

Enfin, il ne nous appartient pas de juger notre prière car Dieu en est le seul maître. Ceci est différent de son appréciation qui peut nous permettre d’améliorer les conditions de son effectuation. Repérer les obstacles, les tentations de fuite, facilite notre prière. Quoiqu’il en soit, toute vie de prière se confronte toujours à des difficultés et demeure un combat spirituel perpétuel.


[1] Denis VASSE, Le temps du désir. Essai sur le corps et la parole, Paris, Seuil, 1997.
[2] S. LECLAIRE, «L’obsessionnel et son désir», dans Evolution Psychiatrique, n° 3 (1959), p. 386.
[3] Marcello de C. AZEVEDO, Prière dans la vie. Effort et don, Paris, éd. du Centurion, 1989, p. 150.
[4] Henri-Pierre RINCKEL, La prière du cœur, Paris, Cerf, 1990, p. 97.
[5] Alphonse et Rachel GOETTMANN, Prière de Jésus : prière du cœur, Paris, Dervy-Livres, 1988, p. 90.

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